Christian Bobin, je n’irai pas chercher dans une biographie pour en parler. Je lis ses livres depuis une quinzaine d’années, je l’abandonne parfois, parce que ces livres sont trop doux pour une agitée du bocal comme moi. Mais j’y reviens toujours, comme une enfant prodigue qui veut vivre le monde, s’y casse un peu les dents et sait qu’elle retrouvera l’apaisement, à peine le livre ouvert comme s’il s’en échappait le souffle de l’essentiel. Christian Bobin est un émerveillé, un amoureux de la simplicité, des arbres, de la grâce, de la lumière, un enfant éternel, peut-être. En un mot un poète. Je sais que lorsque plus rien ne va en moi, il sera là pour redonner de la lumière à ma nuit tout en préservant celle-ci. Et puis il y a son rire, pour l’avoir écouté souvent à la radio, j’attends toujours le moment où éclatera son rire, qui est d’une telle franchise que c’en est de l’amour dont il inonde les ondes.

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J’ai extrait quelques éclats de mots de son petit livre La présence pure, qui n’est pas le livre que je préfère de lui, mais dont le titre à lui seul est un joyau.

« L’arbre est devant la fenêtre du salon. Je l’interroge chaque matin : « Quoi de neuf aujourd’hui ? ». La réponse vient sans tarder, donnée par des centaines de feuilles : « Tout ». »

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« D’abord le tronc, puis les branches maîtresses qui cherchent chacune de leur côté, puis les branches secondaires qui naissent des précédentes mais divergent sur un point, émettent un autre avis, enfin les plus hauts rameaux qui raclent la peau du ciel : autant de tâtonnements, d’essais, d’échecs, mille chemins inventés pour aller vers la lumière. »

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« Ce qui est blessé en nous demande asile aux plus petites choses de la terre et le trouve. »

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« Deux biens sont pour nous aussi précieux que l’eau ou la lumière pour les arbres : la solitude et les échanges. L’enfer est le lieu où ces deux biens sont perdus. »

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« Il y a une naissance simultanée de nos yeux et du monde, un sentiment de « première fois » où ce qui regarde et ce qui est regardé se donnent le jour. »

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« J’aime appuyer ma main sur le tronc d’un arbre devant lequel je passe, non pour m’assurer de l’existence de l’arbre – dont je ne doute pas – mais de la mienne. »

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« L’arbre devant la fenêtre prépare le printemps. Il médite dans le froid sur ce qu’il donnera bientôt.

Dans quelques semaines il proposera au monde plus de lumière que tous les livres jamais écrits. Cette lumière passera et l’an prochain il en donnera une autre, encore. C’est le nom de son travail et c’est le nom du travail des vivants tant qu’il leur reste une saison, un jour, une heure : donner, encore. »

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« J’écris dans l’espérance de découvrir quelques phrases, juste quelques phrases, seulement quelques phrases qui soient assez claires et honnêtes pour briller autant qu’une petite feuille d’arbre vernie par la lumière et brossée par le vent. »

« La vérité vient de si loin pour nous atteindre que, lorsqu’elle arrive près de nous, elle est épuisée et n’a presque plus rien à nous dire. Ce presque rien est un trésor. »

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Le sujet du livre se déroule dans une maison qui accueille les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.

« Il a dans les yeux une lumière qui ne doit rien à la maladie et qu’il faudrait être un ange pour déchiffrer. » Pour avoir côtoyé cette maladie pendant une dizaine d’années, je peux assurer que cette dernière phrase du livre est absolument vraie.

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Extraits de La présence pure – Christian Bobin (ed. Le temps qu’il fait)