« Tire-toi d’affaire comme tu pourras, m’a dit la nature en me poussant vers la vie. » Jean-Honoré Fragonard.
En ce moment au musée du Luxembourg, Fragonard est à l’honneur. Je ferai bientôt un article sur cette exposition que je comptais voir aujourd’hui si le rendez-vous avec le galant libertin ne devait être remis à plus tard. Alors je relis Les surprises de Fragonard, chapitre de La guerre du goût, de Philippe Sollers, que je ne peux que désigner comme meilleur guide pour préparer ma visite tant ces deux-là sont indissociables l’un de l’autre. Pour moi Fragonard c’est d’abord Le Verrou (1777), petit tableau que j’ai très souvent admiré, observé et décortiqué au musée du Louvre et qui, me semble-t-il, mérite un article à lui tout seul.
Leverrou-FragonardVoilà ce qu’en écrit Sollers :

« D’abord l’entendre, ce tableau interminable : léger claquement dans un silence froissé. Elle était assise entre les cuisses monumentales et toujours ouvertes du lit, elle est déléguée par la géante, elle est comme un pétale un instant échappé de la fleur carnivore matrice, enlever une femme à la machine fondamentale, ce n’est pas tous les jours. Fermez là ! Shut up ! C’est bien cela : notre courageux marin, à peine débarqué de son vaisseau ou de sa gondole, va réussir à en fermer une. La pomme, à gauche, nous situe le drame, la génèse elle-même, à l’envers. C’est sanglant, viscéral, tordu, chenille et papillon, la métamorphose et l’empoignade du fond des choses. Et en même temps lumineux, blanc-jaune sorti du rouge, vitesse calme… Où l’on voit que la clé intérieure est la résolution de la discordance d’accord, sol dièse, rapport dans le non-rapport. Sur la pointe des pieds, deux bras dans deux mondes différents, rapt, bout du doigt qui pousse… Ce tableau devrait s’appeler le Vrai où. D’ailleurs, à partir de maintenant, c’est son titre. Catastrophe et sécurité. Ça s’agite beaucoup, mais ce n’est rien. La blonde Sabine de la forêt est parvenue au but, on l’accouche, elle passe évanouie de l’autre côté, elle est prise, vous entendez la tige glisser. Quel est le mouvement suivant ? Le passage du mur du son. Dans un moment la chambre sera vide, le rideau de sang voilera le petit théâtre où on vous a montré tout ce qu’on pouvait vous montrer, la rapide opération marionnette. La curiosité n’a pas à aller plus loin. Dernier trait des illuminations : « La satisfaction irrépressible des amateurs supérieurs. » » 

La Guerre du goût – Philippe Sollers (Gallimard)

Les surprises de Fragonard – Philippe Sollers (Gallimard)

Fragonard amoureux – Musée du Luxembourg (Paris) (16 Septembre 2015 – 24 Janvier 2016)