C’était le 14 janvier au Centre Pompidou, une invitation à jouer la vie parmi les oeuvres du musée d’art moderne au 5ème étage du paquebot. J’étais un peu en avance alors je me suis d’abord égarée dans les coursives pour découvrir le Cuba d’Agnès Varda* dans la galerie des photographies au sous-sol. De milliers de photographies prises en 1962, Agnès Varda en a fait un film d’une trentaine de minutes intitulé « Salut les Cubains », elle y est la voix off en compagnie de Michel Piccoli. Ces images prises en rafale mises bout à bout s’animent sur l’écran et me font penser à du gif animé avant l’heure.
Après avoir retiré ma contremarque pour le Museum Live qui doit faire la part belle à la performance, je me suis hissée sur le haut mât afin d’observer le mouvement dans le hall. Bientôt 19h, le musée est tranquille, extérieur nuit, le monde semble s’apaiser. J’aime les lumières des musées, leur tons feutrés à certaines heures, et puis ce hall m’est comme un univers intime.
Abandonnant mon point de vigie, je me dirige vers les grands tubes élévateurs transparents et j’entre dans les coulisses du musée. J’y survole l’espace que je connais déjà un peu, repérant les numéros des salles où auront lieux les performances. Certains bancs sont déjà fort occupés, je passe, repasse, croise les mêmes regards, je salue certaines oeuvres, en découvre de nouvelles, je connais mieux l’étage du dessous qui hébergent davantage les collections contemporaines. Ici, c’est l’étage du XXème siècle, Picasso, Picabia, Duchamp, Breton, Chagall, Léger, Mondrian, etc etc. Dans certaines salles il y a foule, bruits, flashs, discours, dans d’autres les oeuvres se reposent, attirent à elles quelques visiteurs curieux. Subitement, les « modèles vivants » arrivent, figures sorties des tableaux, elles prennent la pose durant deux heures, changement chronométré toutes les cinq minutes. Nombreux sont les carnets de croquis qui vont se noircir ou se colorer au fil des heures. Je fais partie de ceux qui ne s’attachent à rien, veulent tout voir, tout entendre, tout capter, les oeuvres, la musique, les dessinateurs appliqués, quelques mots ici et là sur la peinture de Delaunay, sur les collections d’André Breton. Je m’applique à peser, prendre la température, ausculter les lieux, l’ambiance. Je photographie, j’enregistre des sons, parfois les deux à la fois avec deux appareils différents, jonglant un peu maladroitement avec deux ou trois mains. Les pieds en bascule, les yeux errants un peu verdâtres, le corps étiré, le teint blafard, la bouche au bord du smile, j’entends le brouhaha de certains, la concentration des autres, le piano qui s’accorde sous les doigts crocheteux de la belle pianiste, les visages qui passent et repassent, toujours les mêmes, tout comme les oeuvres, à peine étonnées de ce désordre. Etre oeuvre est un art. A l’heure de la lecture des poèmes, il faut en choisir un, on ne peut être partout à la fois, c’est une affaire sérieuse, ce sera La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, de Blaise Cendrars, une lecture collective, doublée par quelques notes de contrebasse. Trente-cinq minutes d’attention face aux lecteurs qui s’installent dans le texte au fil du trajet, des mots qui restent un peu plus longtemps que les autres entre les deux oreilles, les feuillets qui s’envolent, chutent, se récupèrent. Je retiendrai « Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ? », quelques mots répétés venant de derrière le monde qui s’est agglutiné autour des voix sous le micro. Applaudissements.
Montmartre, je le vois en sortant, représenté, illuminé par le Sacré Coeur qui s’échappe dans le ciel. D’ici, nous n’en sommes pas bien loin. Un vol d’oiseau à peine. Allez-vous vous envoler, monsieur ? J’ai suivi un homme sur une coursive extérieur. Il va au plus loin et pose ses affaires sur le pont. « Allez vous vous envoler, Monsieur ? » Il sort un appareil photo et plonge jusqu’à la lune en croissant entre la tour Eiffel et la tour Montparnasse. Nos prises de vue se croisent, sans un son.
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Je marche dans la nuit, il me faut rejoindre le métro, la fontaine Stravinsky est au repos, doucement vidée de ses eaux, la place m’est pleine de souvenirs, tant de choses ici, de rendez-vous manqués à des éclats de rire, des fantômes d’années qui pourraient défilés si je leur demandais de venir me hanter, mais je ne sais regarder en arrière sans perdre l’équilibre, alors je marche droit devant, je pourrais bien me diluer dans quelques pas de danse, je souris à ces ombres qui me tirent à elles, je marche et j’aime la nuit au froid qui la déshabille de sa vie tumultueuse.
Je voudrais me perdre un peu ici que je ne le pourrais, ces rues je les connais, je les enveloppe de mon désir d’y être seule, et j’imagine dans le désert du soir que cette rue pourrait se travestir en celles des forfaits de Jack the Ripper… allons Whitechapel était bien moins éclairé, bien plus glauque, et puis la bête ne s’en prenait qu’à… ton ventre en vaut bien un autre s’amusent à murmurer les chants intérieurs auxquels je réponds que j’ai une arme infaillible, mon appareil photo, il décuple mes forces, annihile les peurs, et puis, faut dire que j’y suis bien dans ces rus de Paris silencieux, clapotant de la semelle, bruitant mes pas en résonance sur les bord de la nuit tombée, seule… seule… je pourrais faire durer l’instant éternellement et convoquer ici toutes les histoires de nuit.
- Ceux que ça intéressent, le Cuba de Varda, exposition à la galerie de photographies du Centre Pompidou, est en entrée libre jusqu’au 1er février 2016.
16 janvier 2016 at 18 h 03 min
Comme j’aime cette solitude, ce désir de ne pas forcément s’attacher à, cette volonté de tout capter, ou presque, cette façon de nous entraîner dans une visite non consensuelle, de donner une vie aux oeuvres, de nous amuser d’une main de trop… C’est vrai que l’appareil photos protège. Merci, adoré. J’ai adoré ;))
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16 janvier 2016 at 20 h 06 min
Merci pour votre enthousiasme, Anne.
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16 janvier 2016 at 18 h 45 min
Le spectacle est partout. L’oiseau me semble une ‘py qui nous rapporte tout ce qui brille, merci, merci, cela met de la lumière jusque chez moi et je redemande la becquée!
Ah, que n’ai-je les idées qui éclairent aussi bien que certains… beaucoup de photos espiègles mais celle-ci est juste irrésistible!!
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16 janvier 2016 at 20 h 14 min
Et je sais fort que vous vous y connaissez en oiseau, y en a plein chez vous. Vous me faites rire, et pas qu’un peu, j’imagine la becquée… Savez c’que c’est l’imagination, on maîtrise mal, même sans les yeux… Merci, Henriette.
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17 janvier 2016 at 9 h 54 min
A vous lire, je m’imagine la tête de l’imagination, cette drôle de bête (pelage ou plumage?) un peu sauvage qu’on maîtrise mal et qui au bout de notre laisse, tire comme une damnée et nous emporte malgré nous!
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17 janvier 2016 at 10 h 22 min
Vous tenez votre imagination en laisse, vous… c’est une idée, bien je ne sois pas très douée en maîtrise. En fait, tout dépend de quelle côté de la laisse on se trouve. Dans le fond, je veux bien m’abandonner corps et âme à mon imagination et me laisser emporter par elle, pour peu qu’elle reste sauvage.
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17 janvier 2016 at 10 h 53 min
Oui de l’autre côté, c’est elle qui me tient.
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17 janvier 2016 at 15 h 06 min
Une laisse aux deux extrémités identiques.
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16 janvier 2016 at 20 h 03 min
Bon, piton accroché involontairement… je recommence…
fascinant, délicieux, passionnant… quand c’est toi qui racontes, quand c’est toi qui montres, on y est… j’aime ces découvertes faites à travers toi… avec/dans tout ce désir d’être seule… où je suis seule moi aussi… avec toi qui est seule… merci ‘vy de prendre le temps de nous dire… et de cultiver ta Passion… avec un grand « p » oui.
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16 janvier 2016 at 20 h 31 min
La solitude s’allie fort bien à la passion (ou Passion)… elles me sont nécessaires et je peux même dire qu’elles me sauvent de moi-même. Mais j’aime beaucoup les partager. Bonne journée, ma chère amie accrocheuse de pitons.
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16 janvier 2016 at 22 h 26 min
Le regret de ne pas y avoir été se teinte du plaisir de le découvrir par tes yeux et tes mots. Tes photos sont splendides ou drôles et ton article nous donne comme toujours l’impression de vivre cet événement à tes côtés. Bravo et merci.
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17 janvier 2016 at 7 h 31 min
Merci Francis.
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16 janvier 2016 at 23 h 36 min
Ils sont plaisants, ces reportages subjectifs et photographiques. On se dit, à leur lecture, qu’on n’aurait probablement pas su mieux voir. Bref : un encouragement à la paresse du rester chez soi. Merci.
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17 janvier 2016 at 7 h 34 min
Mais vous auriez vu et vécu autre chose, comme vous dites, mes reportages sont très subjectifs. Merci d’être passé.
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16 janvier 2016 at 23 h 37 min
la rue déserte…..mmmmmmmmmmmm cette lumière…………et ton nouvel avatar, j’adore!
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17 janvier 2016 at 7 h 38 min
Mon nouvel avatar est plus calme que l’autre, j’avais besoin de calme. Pour le tableau de Chagall, ‘vydemment, ce clin d’oeil est pour toi :-)
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17 janvier 2016 at 13 h 05 min
Je suis revenu savourer plus tranquillement, et la deuxième visite est encore meilleure ! Tu sais nous entrainer…
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17 janvier 2016 at 14 h 58 min
Ça me fait plaisir, c’est vraiment sympa d’être revenu.
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17 janvier 2016 at 18 h 53 min
J’aime bien les modèles vivants, surtout celle en robe Mondrian …
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17 janvier 2016 at 19 h 16 min
Tout à fait d’accord.
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18 janvier 2016 at 8 h 34 min
Magnifique parcours de mots, de tableaux, de vivants en musique ou en poésie, de fantômes en tableaux ou en sculptures. Et cette ombre, là, derrière son appareil photo, moitié réelle moitié elfe, qui déambule, sereine et l’œil alerte et cette solitude en fait sans doute la condition de tant d’éveil à l’autre, aux autres et sur le monde…
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19 janvier 2016 at 12 h 38 min
Sans doute… Merci.
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