C’était le 09 novembre à l’école du Louvre, Agnès Giard donnait une conférence sur le phénomène love doll au Japon. Agnès Giard est journaliste et docteur en anthropologie, elle a publié des livres tel que le bel ouvrage L’imaginaire érotique au Japon ou encore son dernier opus Un désir d’humain, les love doll au Japon.

1116ldhomepousCette conférence (une première pour moi d’entrer à l’école du Louvre) tentait de nous éclairer sur la question : dans quelle mesure les love doll correspondent-elles à un humain de remplacement ? ainsi que voudrait le faire croire la photo d’un homme et de son épouse en silicone. Après avoir écouté et compris un peu, j’espère, le concept de la poupée d’amour au pays du soleil levant, je finis par me dire en regardant cette photo : à quoi peut bien penser Haruna (l’épouse love doll), mettra-t-elle la photo de son époux sur son blog ?

 

Nous sommes d’abord remontés aux sources. Les premières poupées d’amour étaient en plusieurs morceaux, en kit, recouvertes de vinyl. Elles ne pliaient pas les genoux, et avaient un aspect rigide. Très peu pratique. Aujourd’hui, on propose aux clients, pardon, aux futurs époux, des poupées de luxe ayant un squelette recouvert de silicone (comptez 6000 euros), le corps est moulé d’une seule pièce, à l’exception de la tête et du vagin. La texture est proche de la chair humaine. Les premières love doll supportaient un poids de 75 kg, à présent elles supportent une charge de 120 kg.

Concept de la poupée à aimer. C’est là qu’on entre dans le vif du sujet. La poupée n’est pas une femme, elle reste une poupée, elle n’est pas un objet sexuel mais un être à aimer. Il faut penser que les Japonais sont animistes, la poupée d’amour répondra à l’amour qu’on saura lui donner. De l’émotion avant toute chose, la love doll doit être « une présence capable d’offrir la paix du coeur et de partager des moments de tendresse ».

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Toutes les mêmes. Les ingénieurs qui conçoivent les poupées refusent de les robotiser. Elles doivent être des êtres vides toutes identiques, c’est le client qui crée l’effet de présence qui n’existe qu’à l’1116ldrealdollétat latent chez la poupée. « la love doll n’est qu’un support optimisé pour recevoir la vie ». La poupée n’est donc pas assimilée à un être humain, elle est une matière première à transformer, plus les visages sont lisses plus il peuvent refléter l’émotion. Contrairement aux real doll anglo-saxonnes qu’on peut voir sur la petite photo qui sont de formes, d’âges, de couleurs ou de sexes variés. Au Japon, toutes les poupées sont de même sexe (féminin), très jeunes filles et même couleur de peau.

Les cibles d’acheteurs ont changé, du quinquagénaire malheureux, ce sont maintenant également les otaku qui achètent des poupées. Refus de la société, du mariage, etc… mais n’allez pas croire que ce sont des personnes esseulées. Non non, parce que lorsque la poupée arrive chez son mari, il déballe l’objet en prenant des photos, des photos qui seront postées sur le blog de la love doll. Ainsi elle rejoint la communauté des love doll et raconte sa vie au quotidien. Evidemment entre copines elles veulent se rencontrer, donc les maris suivent, présentent leur objet chéri à leurs condisciples. Paraitrait même qu’il y a parfois des soirées échangistes (je suppose qu’il faut que les poupées soient consentantes).  Les propriétaires ont donc une vie sociale par le biais de leur poupée.

Que faire lorsque vous en avez assez de votre love doll ? Elle repart vers l’usine où elle est née, là, on lui offrira une cérémonie funéraire. Il n’est pas conseillé de l’abandonner dans un coin, elle pourrait vous en vouloir, l’habiller de temps à autre est un minimum pour qu’elle ne cesse de se sentir aimée. Agnès Giard nous a parlé de la peur des poupées hantées au Japon, sujet de frayeur important, celles qui portent des ondes négatives, mais cela ne peut concerner les love doll puisqu’elles sont chargées d’énergie positive à force d’amour. Un jour un homme a pris une photo de sa poupée la nuit les yeux grand ouverts, disant qu’elle lui faisait peur, le blog a été supprimé très vite. On ne parle pas de ces choses-là.  Les love doll ne peuvent pas être dangereuses.

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Une certaine idée de pureté. La love doll est jeune, très jeune. Surtout depuis l’arrivée des otaku sur le marché, eux font la grève du coeur, ils sont purs, ils veulent proposer un autre modèle de société. La poupée doit être pure aussi, elle possède un hymen d’où s’écoulera un liquide rouge lorsqu’elle sera déflorée. Elle sera alors chargée d’émotions positives, plus vous la rendrez heureuse plus elle vous rendra heureux. Les poupées peuvent se faire autant de virginité que le client désir. Mais le top du top, ce sont les vagins interchangeables, certains sont de véritables invitations à des voyages initiatiques avec des portes à ouvrir, des sensations très agréables à découvrir et un réceptacle ô combien chaleureux où les messieurs peuvent répandre leur amour. J’ai même entendu parler de « vagin d’alien »…  « Aimer une poupée c’est verser le sang du coeur ».

Des hommes mariés achètent-ils parfois une poupée ? C’est très déconseillé, la femme humaine la considérerait aussitôt comme une rivale, ne pas oublier qu’avant d’être objet sexuel la poupée est objet d’amour. Retour immédiat à l’envoyeur.

Pour finir, des poupées japonaises ont émigré en France (les moules ont été mis à l’abri depuis Fukushima « sauvez les femmes et les poupées d’abord » plaisante Agnès Giard), il se vend 15 à 20 poupées par mois. Il parait qu’on peut trouver la publicité dans Le chasseur français.

Pour terminer sur une note poétique puisque ces poupées le méritent bien, voici le trailer d’Air doll de Kore-eda Hirokazu