Comment vous parler d’une exposition qui a lieu dans des espaces vides. Vides ? Tu as vu que c’était vide, toi ? Mais non, c’est autre chose. Ben alors ? Imaginez que c’est vous qui participez à l’oeuvre d’art. Ah oui ? A l’échelle macro ou microscopique ? Parfois, j’avais l’impression que nous n’étions qu’un détail dans un tableau. Nous ? Bon, essayez de me suivre…
D’abord vous passez un grand, très grand rideau de perles blanches, une façon de pénétrer dans l’objet de votre curiosité, et vous êtes reçu par votre reflet… Mais aussi par une jeune femme qui vient vers vous et vous demande « qu’est-ce qu’une énigme ? » Vous, aussitôt vous pensez sphinx ou œdipe, mais c’est pas une réponse à la question, ça. Alors vous répondez ce qui vous passe par la tête, genre une énigme c’est… d’abord une question, à laquelle on cherche réponse. La jeune fille se balance comme si elle cherchait quelque chose en elle et d’un coup elle montre une direction du doigt « vous allez par là ! »
Y avait-il une autre direction ? Peu importe, vous avancez vers l’endroit désigné, lentement, histoire de vous préparer à la suite… et cette suite c’est un enfant qui dit s’appeler Jean et qui vous demande « c’est quoi le progrès pour vous »… mince, ça se complique, vous bafouillez une réponse qui voudrait prendre le temps de se développer dedans-dehors, mais déjà un jeune homme arrive et l’enfant lui passe le relai : c’est à dire vous et votre réponse cafouilleuse en l’occurrence. Alors vous marchez avec le jeune homme, vous parlez tous deux progrès évolution humour humain tristesse… que sais-je quels mots sont encore prononcés… vie, cynisme, pessimisme, mélancolie (il a fallu que je la sorte de sa boite à ressort celle-là… accompagnée de son optimisme, inexorable condition à une mélancolie positive). Lui et vous avez traversé la grande salle propulsés par des mêlées de mots, et vous voici au détour d’un couloir, seule, il n’est plus à vos côtés, disparu comme par enchantement, laissant derrière lui une brume de questions… vous n’avez pas le temps de trop y penser que déjà une jeune femme vous dit qu’on va parler des racines des arbres… de l’exil… des origines… connexion… vous répondez du tac au tac laissant flotter votre imaginaire, les rhizomes sous terre, les liens entre les arbres… c’est un court mais bel échange… chacune apporte ses bouts de phrase qui s’imbriquent les uns dans les autres… vous vous souviendrez qu’elle venait de Colombie… de son ravissant sourire… elle a déjà disparu… un homme plus âgé se présente, pour la première fois vous allez vous aussi donner votre prénom, il vous reparle de progrès – on y revient – de choses pas gaies du tout, mais aussi et encore d’humour… il parle de la violence des hommes qui ne sont peut-être plus des hommes… du rire… du propre de l’homme… humour, homme… l’humour des artistes… il vous laisse passer et referme la porte derrière vous.
Le volume est plus grand. Vous vous attendez à ce qu’on vienne vers vous mais là vous êtes livrée à vous même… un groupe passe à proximité en sautillant en rythme… vous marchez… le groupe repasse en sautillant… vous avancez… l’espace perd de la lumière, vous êtes maintenant dans une pièce où cinq hommes et femme sont debout tournés face contre les murs, vous ne verrez jamais leur visage, ils parlent, leurs voix se répondent en anglais « very sorry », en français, on dirait qu’ils ne peuvent pas vous voir, pas se voir, il n’y a que leurs voix qui résonnent les unes contre les autres… difficile de sortir, l’un des hommes sans face, ferme le passage… il tord son corps… une femme insiste, il résiste… jusqu’à ce que… vous voilà à l’extérieur en train de marcher sur un sol trempé, vous voyez mal mais vous entendez que l’eau ruisselle… quelque chose se transforme dans l’ombre… vous avancez à tâtons, vous cherchez pendant que vos pensées se parlent.
Vous voilà de nouveau dans la grande salle, le groupe sautillant s’est arrêté, ils sont devenus voix, musique, c’est plutôt beau, et soudain ils scandent « humans humans humans »… c’est ainsi que vous remontez les escaliers et vous retrouvez près du grand rideau de perles… vous ressortez le coeur gai, amusé, vos yeux trouvent que tous ceux que vous croisez sont beaux… ce n’est pas normal, vous essayez de réinitialiser. Une question vous trotte dans la tête : les humains sont-ils des oeuvres d’art ?
Cette question intime qui me renvoie des années en arrière, exactement à la première fois que je suis venue au Palais de Tokyo, je ne comprenais rien à ce qui y était exposé, et soudain j’avais vu les gens autour des oeuvres, alors j’avais sorti mon appareil photo et c’était les visiteurs que j’avais pris en photo, l’homme était le centre de cet art qui m’était totalement obscur… premiers pas dans l’art contemporain qui met l’homme face à lui-même. Et aujourd’hui, là, je suis entrée dans l’oeuvre… c’était mon expérience.
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Carte blanche à Tino Sehgal, jusqu’au 18 décembre 2016 au Palais de Tokyo
17 novembre 2016 at 0 h 34 min
Tout simplement incroyable, cette expo dont vous parlez. Par contre, si j’y allais, je ne suis pas sûr que j’y verrais les mêmes choses que vous. C’est bon signe.
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17 novembre 2016 at 8 h 59 min
Tout à fait !
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17 novembre 2016 at 9 h 02 min
Fantastique ! Tu m’as donnée envie !
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17 novembre 2016 at 9 h 04 min
Super ! alors c’est réussi, et ce, même sans photo.
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17 novembre 2016 at 9 h 08 min
Carrément, on dirait l’histoire d’un roman dont vous êtes le héros…
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17 novembre 2016 at 9 h 11 min
Interactivité grandeur nature. Et j’ai gagné un temps fou à ne pas avoir à recadrer des images.
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17 novembre 2016 at 11 h 14 min
Ca me fait penser à certaines scènes du film « Musée haut, musée bas » sorti il y a quelques années sur le thème de l’art contemporain … A un moment un groupe de touristes rentrait dans une salle vide et on leur disait que c’était eux l’oeuvre d’art.
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17 novembre 2016 at 11 h 29 min
J’ai, hélas, raté ce film lors de sa sortie, il faudrait que je me procure le dvd.
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17 novembre 2016 at 12 h 39 min
Je ne suis pas sûre qu’il vous plairait car c’est une charge assez féroce contre l’art contemporain … Ceci dit, il a un côté burlesque et inventif (de plus avec une floppée de très bons acteurs) qui est réjouissant à voir.
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17 novembre 2016 at 13 h 03 min
Mais je peux aussi être assez féroce envers l’art contemporain, je cherche surtout à comprendre. Ce qui m’intéresse c’est qu’il fait partie du présent, et est indissociable de l’humain, de la pensée et aussi il nourrit ma curiosité.
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17 novembre 2016 at 13 h 28 min
En accord total avec cette réponse!
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17 novembre 2016 at 13 h 45 min
Je comprends très bien, moi aussi j’aim e l’art en général et contemporain aussi parfois. Ce qui n’empêche que ce film m’avait bien plu …
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17 novembre 2016 at 13 h 30 min
Merci pour ce compte-rendu, le mystère du travail de Tino Sehgal s’éclaircit petit à petit…
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17 novembre 2016 at 14 h 56 min
Avant cette exposition, je ne connaissais pas Tino Sehgal, j’y suis allée pleine de curiosité, j’en ressors avec l’envie de savoir ce qu’il a déjà fait par ailleurs.
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17 novembre 2016 at 14 h 26 min
Tu retranscris cette ambiance avec la délicatesse qui te caractérise, ce périple à travers soi-même et les autres, une forme d’art invisible et éphémère, serait il le seul vrai, le seul qui vaille finalement, celui qui compte plus que tout ?
Passionnant.
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17 novembre 2016 at 15 h 24 min
Est-il vraiment si éphémère que ça ? Le visiteur n’en ressort pas indemne, quelque chose a eu lieu, peut-être a-t-il reçu une sorte d’insémination… de quoi ? une sorte de big bang intérieur…
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17 novembre 2016 at 15 h 53 min
Certes éphémère pour l’objet, indiscernable d’ailleurs, pas pour le sujet !
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17 novembre 2016 at 14 h 32 min
Un plan-séquence. Labyrinthique. Et une chute tendre à souhait. J’étais bien dans cet espace intérieur. Loin d’être vide. Et j’ai aimé y revoir en passant, y revivre, l’oeuvre sur la mélancolie positive…
Une fois encore, c’était facile… je suis entrée dans ton monde intérieur… c’était mon expérience.
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17 novembre 2016 at 15 h 25 min
Et ça me plait bien tout ça.
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17 novembre 2016 at 21 h 39 min
je lis ta réponse à Francis et c’est aussi l’impression qui me venait en te lisant… c’est ce que tes mots transmettaient, ce qu’ils racontaient de ton expérience, à moi du moins… je sentais très bien ce désir peut-être sans doute qui sait de la part du créateur… insémination, big bang intérieur, recommencement…
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17 novembre 2016 at 22 h 39 min
Et les choses évoluent encore en moi en les disant. L’artiste a voulu une oeuvre axée sur les échanges humains. Ce que l’on ressent ensuite, ça dépend de la nature de chacun d’entre nous, bien sûr. Et je m’interroge sur ce qui se passerait si j’y retournais. Un autre ressenti, sans doute, même si je sais à quoi m’attendre. On peut rencontrer d’autres personnes, et se rencontrer soi-même autrement aussi. J’imagine.
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19 novembre 2016 at 14 h 31 min
très étrange expérience que tu nous contes là, Evy…..j’étais loin de me douter que pareille ‘chose’ existait……mais si *ça* c’est de l’art, alors nous sommes l’art et c’est un peu, pour moi une découverte comme la découverte de la prose pour m. jourdain
en danse contemporaine, ce que j’aime c’est que *tout* se danse: le silence, l’eau, les arbres, on peut tout ‘interpréter’……et l’atmosphère, le ressenti que tu nommes pendant cette visite me ramène à la danse……la danse de la Vie
gros bisous, Evy et de nouveau *merci* pour tes partages :-)
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21 novembre 2016 at 14 h 35 min
Et tes mots dansent tout autant
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19 novembre 2016 at 16 h 35 min
Extraordinaire expérience. Une fois encore je vous ai suivie – les yeux fermés.
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21 novembre 2016 at 14 h 37 min
Telle que je vous imagine, vous devez bien avoir un oeil quelque part qui est resté ouvert.
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21 novembre 2016 at 20 h 05 min
Oui!!
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