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les oiseaux dans le bocal

ou comment les poissons rouges ont pris la clé des champs

Mois

juin 2015

Livre y es-tu ? (petite récréation)

– Qu’on me donne un roman qui ne me tombe pas des mains. En ce moment, la fiction m’ennuie terrrriblement. Et pourtant, j’aimerais trouver un bon roman, renouer avec la littérature.

– Et puis, c’est l’été. La vadrouille. On selle sa monture et on enfourche les mots. Et au petit trot….

– Tu parles, c’est une affaire difficile, et il faut qu’elle le soit. L’usage n’est pas au farniente mais de s’armer d’une patience absolue pour traverser les premiers chapitres. Ils devront résister à mes assauts, ne pas décevoir, sous peine de me voir sauter d’un âne sur un autre.

– C’est la chaleur qui te fait bouillir la cervelle ?

– Je veux me battre, me faire cogner, rudoyer, griffer. Voilà ce que j’entends par lecture du roman. Régine Detambel a bien raison quand elle écrit dans son livre Les livres prennent soin de nous « … l’essentiel est tout de même d’être réveillé par un livre. » Et de citer Kafka : « On ne devrait lire que les livres qui nous mordent et nous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? […] un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. »

– Dis donc, si je compte le nombre de romans que tu as lus cette année, ce n’est plus d’une hache dont tu as besoin mais d’un brise-glace. Parce qu’à part des polars…

– C’est le calme plat, mer létale, les vents se sont perdus, on n’y vit plus. C’est désespérant. Où sont donc passés ces livres qui s’enroulaient comme des lianes autour mon imagination, me collaient tellement aux basques que j’avais envie de leur écrire dessus. Ça suintait tout partout là-dedans, je me sentais limoneuse, ensemencée, y avait un monde qui papotait. Tu vois, je voudrais un bon bouquin qui me transperce de part en part, qui prenne le risque d’être jeté contre le mur, avant que je le reprenne parce que je ne peux pas m’en passer. En ce moment, ceux que j’ouvre ne sont qu’ennui et ligature d’esprit. Est-ce que ça vient de moi ? J’en veux un qui me creusera, avec lequel je lutterai jusqu’au bout, un livre qui me fasse croire qu’il a été écrit pour moi.

– Un combat comme celui de l’ange avec Jacob ? Un crochet du droit, une estafilade, suant sang et eau. Par Saint-Sulpice, c’est le combat du siècle.

– « un amoncellement de millions de chocs », dixit Thomas Bernhard parlant de ses livres. Tout à fait ça. Une blessure non divine mais bien humaine, que je porterai comme une aube fertile où pousseront les fleurs de l’abondance.

– Manigance. Prudence. Extravagance. Effervescence et divergence. « Caniculance »

– Mon sang mêlé à l’encre, les phrases labourant ma chair dominée par l’espoir de tenir jusqu’à cet autre point du jour où la vie perlera portant les reflets de terres inexplorées.

– L’indiana Jones de la page retrouvée. Avec tous les livres que tu achètes, tu n’as que l’embarras du choix. Tu peux faire une liste de lect…

– Sûrement pas de liste ! Je ne les respecte jamais. Ce que je voudrais c’est choisir trois romans et voir si l’un d’entre eux… par affinité, faire un bout de chemin… Je n’arrive pas à choisir.

– D’accord, laisse-moi faire : Thomas Pynchon, tu connais déjà, c’est du bon et ça chante dans les pages. Tu avais aimé Contre-jour. Voilà V. M’étonnerait qu’il te déçoive celui-là. Ensuite… non pas celui-ci, on le garde pour plus tard.  Il y a quelques années que tu n’as pas lu Orhan Pamuk, tu dis toujours que tu vas y revenir, c’est le moment, tu n’as jamais ouvert Mon nom est Rouge. Et puis… et puis et puis… tiens, Sentinelles, de Cécile Wajsbrot, tu l’avais commencé, égaré sous d’autres livres.

– Il ne m’avait pas manqué.

– Il n’est pas gros, le sujet te va comme un gant. Recommence et termine-le. Tu as tes trois romans. Maintenant si tu veux des essais, garde ceux que tu as prévu de lire : Un été avec Baudelaire, d’Antoine Compagnon, Entre parenthèses, de ton cher Roberto Bolaño, et Gustave Flaubert, de Pierre-Marc de Biasi.

– Et on ajoute celui-là ! Du mariage considéré comme un des beaux-arts.

– Evidemment, Sollers !

– Non, Kristeva. Pour une fois que les deux sont réunis dans un même livre. Ah, et puis, celui-ci, Le dernier journal, d’Henri Bauchau, pour tout ce que le souvenir des livres de ce monsieur représente dans ma vie. Lui, c’est comme un ami qu’on visite…

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Ça, c’est ma bibliothèque, la nuit.

My Buenos Aires – Maison Rouge

On vous dit Buenos Aires, là, tout de suite, qu’est-ce qui vous vient en tête ? D’emblée, je répondrais Borges qui fut (et reste) un de mes auteurs préférés. Si je dis Borges, je pense aussitôt à Alberto Manguel, ses yeux de lecture, devenu un passeur passionné de livres qui nous donne de captivants essais. Ensuite ou en même temps je pense au délicieux accent de Miguel Benasayag (psychanalyste), dont j’écoutais les interventions un tantinet provocantes le matin sur France Culture il y a quelques années (avant qu’il soit viré pour excès de liberté d’expression). On me dit Buenos Aires, je repense forcément aux deux excellents films qui m’ont marquée à vie (vus à l’époque où je faisais une boulimie de cinéma), de Fernando E. Solanas, La dignité d’un peuple et Mémoire d’un saccage et qui m’en apprirent tant sur l’Argentine, la dictature, le sens de l’humanité.

Aujourd’hui, Buenos Aires, c’est à la Maison Rouge (boulevard de la Bastille, à Paris) qu’on en parle. My Buenos Aires fait suite aux deux précédentes expositions My Winnipeg et My Joburg (sur Johannesburg). 65 artistes de quatre générations de la scène artistique contemporaine argentine exposent une centaine d’oeuvres. J’ai parcouru cette exposition avec grand plaisir. Pas de photos à vous montrer puisqu’elles sont interdites, alors je vais essayer de partager quelques impressions avec de simples mots.

Le parcours s’ouvre sur le grand pan de mur de l’entrée par une sorte de fresque composée de photos, d’écrits, de livres posés sur de petits étagères ou suspendus par un cordon. Plus loin, des tableaux sur palissades ou capot de voiture, quelques sculptures, des photos, des vidéos. L’une d’elles capte l’attention, on y voit le ralenti d’une précipitation d’hommes et de femmes se ruant sur un entassement de nourriture déversée au sol. Deux hommes armés, en uniforme, marchent sans prêter attention à la scène qui malgré le ralenti porte une violence intrasèque. Je m’échappe devant ces matraques et ce chien s’acharnant sur le pantalon d’un homme à terre. Noir. Couloir. J’entends la pluie légère, l’orage qui gronde, il pleut à l’intérieur d’une fenêtre. J’avance dans la grande salle jalonnée de sculptures cachées, je glisse mon museau à l’intérieur des murs comme si je regardais par le trou d’une serrure. Ma curiosité s’excite, je passe d’un trou à l’autre. Ici encore des dessins, des peintures, des sculptures, des photographies. Une pièce ouverte, on entre chez quelqu’un d’absent, la vaisselle fissurée est dans l’évier, les meubles ont souffert et sont rafistolés. Plus loin. Portrait de l’artiste en jeune écrivain, un grand tableau peint très coloré dans lequel je m’égare, l’homme travaille à son ordinateur au milieu des livres éparpillés dans toute la pièce. Je me décolle de tous ses livres et je regarde une petite vidéo montrant une jeune fille qui cherche patiemment le meilleur endroit pour se cacher, derrière un fauteuil, derrière une porte, sous une table, dans une armoire. C’est un projet ambitieux.

Et puis me voilà devant une cabane de bois sombre. La isla (l’île) d’Eduardo Basualdo. On y pénètre en montant un escalier. Une personne à la fois. Je vois un homme entrer. « Ne trichez pas », me dit le gardien. Tricher ? Il y a quelque chose à découvrir alors ? Un sourire vaut une réponse. L’homme ressort par la même porte. Il n’a pas trouvé, veut y retourner. Sa femme prend sa place. J’entends grincer, j’entends marcher. Et puis une cloche s’active. « Allez-y, me dit le gardien. Bon courage ». Ouaip, je me fais un plaisir d’entrer. Il fait très obscur là-dedans. Je tâtonne, je cafouille. Je suis nulle. Je trouve. J’avance. C’est jouissif. Je sors de l’autre côté. « J’adore », je dis au gardien. Sûr que j’y retourne une prochaine fois.

L’histoire de cette maison : « Eduardo Basualdo a créé avec ses congénères une performance où le suspens et le secret étaient consécutifs de l’oeuvre. Le spectateur se rendait à un rendez-vous fixé au coin d’une rue de Buenos Aires. Un inconnu sorti de la nuit l’emmenait alors dans une maison elle aussi inconnue. Avec les années, cette maison devint une légende dans le monde de l’art argentin. Que s’y était-il passé ? Seuls ceux qui s’y sont rendus le savent, et nul d’entre eux n’en a encore soufflé mot. »

Difficile de me concentrer sur le reste ensuite. Pourtant une maquette d’une bibliothèque s’écroulant attire mon attention, les livres volent, d’autres sont déjà écrasés sur le sol, quelques uns sont encore rescapés sur les étagères penchées. A côté, il y a un échafaudage bringuebalant, « monte dessus », me dit-on. Au bout, les jambes tremblotent, on se cramponne devant le panorama de la salle du dessous. Je passe vite dans cette salle sans trop faire attention, mes yeux ont pourtant accroché un pantin noirci… J’avance. Du plâtre sur le sol, des masques blanchâtres, des petites salles, je me souviens d’un lit dont les pieds sont montés sur des livres, des objets, je me souviens d’un film, oh oui, ce film, Trailer, je vois la fin, je recommence du début, une femme construit son double le temps de sa grossesse. Contre la solitude, contre la peur d’accoucher seule. Neuf mois pour mettre au monde une présence. Puis, l’enfant est là, le double ne sert plus… La musique accompagne bien ce petit film dont l’atmosphère mystérieuse est tant empreinte de solitude.

Voilà, je ne connaissais aucun des artistes exposés. Je pense y retourner…

L’exposition se termine le 20 septembre 2015. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de La Maison Rouge.

Street Art et graffitis – 6 – Jeff Aerosol et JR

Nous terminons cette petite balade dans le street art avec deux artistes dont le travail me touche particulièrement.

Jeff Aérosol parce que j’ai été emballée par ce grand monsieur (autoportrait) qui nous ensilence pour que nous écoutions « la grande symphonie urbaine » , un méli-mélo de sirènes de police, de bruits de moteurs, d’enfants qui jouent, de touristes, d’oiseaux qui chantent. Pour que nous nous écoutions les uns les autres. Je trouve que se dégage de ce haut mur poésie et expressivité. 12 mai 2011, nous mangions une crêpe (au (vrai) chocolat fondu et des amandes grillées… trop bon… et même encore meilleure avec une boule de glace à la vanille… mamma mia, ma che bueno !), une petite crêpe donc sur la place Stravinsky près de Beaubourg, la Nana de Nicky tournoyait à s’en donner le vertige sous les éclaboussements des jeux d’eau de Tinguely. Levant la tête en pleine pâmoison gustative, je vis un échafaudage avec des hommes dessus (pour ne pas le voir me direz-vous…). Nous sommes restés un peu plus que le temps nécessaire à satisfaire notre gourmandise à regarder l’apparition qui se faisait en direct sous nos yeux. Chuuuttt…. nous dit-il. Je crois que c’est là que j’ai connu le nom de Jeff Aérosol.

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Quant à JR, je l’ai découvert au cinéma, avec le film Women are heroes. Je suis sortie de la projection les larmes aux yeux, le coeur en joie, le cerveau en effervescence, pleine d’admiration pour les femmes du film. JR met des photos de leurs regards partout, dans les rues, sur les murs, les toits des favelas, des bidonvilles du monde. Et, cadeau pour nous, il leur donne la parole, et ce que ces femmes disent nous donne de la force, de l’amour, de l’espoir.

JR, il prend des photos de nos visages d’une façon rigolote, en très gros plan, il pose sa cabine photographique pour son projet Inside Out, c’est à Beaubourg que j’ai assisté à la scène : une longue file d’attente pour entrer dans la cabine, d’immenses photos qui tombent de haut lourdement, les visiteurs s’en vont avec leur portrait …

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Ci-dessous, un peu du projet Face 2 Face à Paris.

(JR et Marco réalisent la plus grande exposition de photographie au monde. Pour ce projet, des portraits d’Israéliens et de Palestiniens faisant le même métier sont collés face à face, dans des formats monumentaux des deux côtés du mur de séparation Israël/Palestine)

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Hasard des lieux, cette photo prise en 2007 montre des portraits du projet Face 2 Face collés au même endroit que sera réalisé le monsieur Chuuuttt de Jeff Aérosol 4 ans plus tard.

Street Art et graffitis – 5 – Fondation Cartier pour l’art contemporain

Ça s’appelait Né dans la rue – graffiti, c’était durant le deuxième semestre 2009 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Une histoire du graffiti des années ’70 à aujourd’hui, des divers mouvements et formes qu’il prend. Une belle exposition qui se déployait dans les salles d’exposition et à l’extérieur (jardin et façade) de la Fondation Cartier. Les photos étant interdites à l’intérieur, ce qui fut plutôt frustrant, j’ai utilisé mon petit compact de l’époque où c’était permis : la façade et les toilettes.

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Street Art et graffitis – 4 – ARTISTE OUVRIER

C’était le 21 avril 2012,  à Paris. Régulièrement l’association le M.U.R. (Modulable Urbain, Réactif) propose à des artistes urbains d’investir un panneau situé à l’angle des rues Saint Maur et Oberkampf. Le travail de l’un recouvre le travail de l’autre et sera recouvert à son tour. Ce jour-là, nous avons assisté à une performance d’ARTISTE OUVRIER. Bonne ambiance !

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Ernesto Novo (ci-dessous avec ARTISTE OUVRIER) était venu saluer son ami.

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Street Art et graffitis – 3 – Musée de la Poste

Ça s’appelait Au delà du Street Art. C’était au musée de la Poste entre novembre 2012 et mars 2013. Après une évocation historique du mouvement en France à travers des photographies et des oeuvres de pionniers, on découvrait les créations de 11 artistes, Banksy, C215, Dran, Invader, L’Atlas, Ludo, Miss.Tic, Rero, Shepard Fairey, Swoon, Vhils, utilisant différentes techniques, différents supports.

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Le prochain article street art nous mènera sur une performance d’ARTISTE OUVRIER.

Street Art et graffitis – 2 – In Situ Art Festival

Avant de construire un écoquartier sur une ancienne casse, libre jeu avait été laissé à une cinquantaine d’artistes urbains internationaux.  Ça se passait au Fort d’Aubervilliers (Seine Saint-Denis), en mai, juin, juillet 2014. L’entrée était libre et l’espace était grand, près de 2 hectares. Une belle balade dans le monde du street art. On y trouvait entre autres des oeuvres de  : Jeff Aerosol, M. Beerens, Btoy,13bis, C215, Sylvie Da Costa, Dan23, G. Denning, Jean Faucheur, Fenx, H101, Kan, Kenor, Kouka, Kram, Jace, Jim, Cyklop, Mygalo, Nemi, Milo, RCF1, Stoul…

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Le prochain article street art concernera une exposition au Musée de la Poste, à Paris

Street Art et graffitis – 1 – Palais de Tokyo

Comme l’a montré l’aventure de la Tour Paris 13, investie pendant quelques mois par une centaine de street artists en 2013, puis visitée durant un mois par des milliers de personnes, avant d’être démolie, le street art est un art éphémère qui est de plus en plus apprécié.

Je démarre ici une suite de séries photos sur les oeuvres d’art urbain que j’ai photographiées au fil des rencontres, performance ou expositions entre 2009 et 2014.

Histoire de faire le lien avec mon précédent article sur le Palais de Tokyo, c’est par des photos de ce musée que je vais commencer. Voici donc les escaliers illustrés par Dran pour l’exposition Inside en 2014.

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Mais il y a un lieu bien plus caché dans le Palais de Tokyo, je crois qu’aujourd’hui il n’est visitable que sur rendez-vous, s’il existe encore. J’ai eu la chance fin 2012 d’en trouver la porte entrouverte. Une petite porte qui cachait bien ce qu’il y avait derrière.J’ai eu l’impression d’entrer dans un autre monde, l’atmosphère silencieuse et non moins expressive était très mystérieuse.

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Pour en savoir plus sur ce lieu, je mets le lien sur la page du Palais de Tokyo : Lek, Sowat et Dem189 dans les entrailles du Palais de Tokyo.

Vous souvenez-vous de la Tour Paris 13 ?

Peut-être faisiez-vous partie des chanceux qui ont pu y entrer ? C’était en octobre 2013, une tour du XIIIème arrondissement allait être détruite, les mois précédent sa destruction, ses neuf étages, 36 appartements, avaient été confiés à une centaine d’artistes de street art. Durant le mois d’octobre, le public, nombreux, jour après jour de plus en plus nombreux, allait visiter cette tour. J’y suis allée deux fois, deux fois je me suis cassée le nez. La première fois, le lendemain de l’ouverture au public, il y avait plus de deux heures d’attente, trop tard pour y entrer, les heures d’ouverture étant au début très réduites. A la fin du mois d’octobre, il fallait compter jusqu’à treize heures d’attente. Je n’ai réussi à la voir que virtuellement, grâce aux photos faites par ceux qui avaient pu entrer, photos toujours visibles sur le site de la Tour 13.

Si j’en parle aujourd’hui c’est que ce soir (23 juin) sur France O, un documentaire sera diffusé sur l’histoire de cette tour, à 22h45 (ou replay, je suppose).

Le bel aujourd’hui (Palais de Tokyo)

0615_381rpf« Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui

Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre. » Stéphane Mallarmé

22 juin 2015, 21h13, j’entre dans le Palais de Tokyo, jour de vernissage des nouvelles expositions. Univers fantasmagoriques, oniriques, poétiques, cette saison au Palais de Tokyo est d’emblée très séduisante. Cinq grandes monographies surprenantes nous entrainent à travers l’immense dédale du bâtiment.

Le Palais de Tokyo m’a habituée à des installations envoutantes et maintes fois je m’y suis perdue avec enthousiasme. Mais là, ils ont fait fort, acquaalta, de Céleste Boursier-Mougenot inonde une grande partie du niveau d’accueil du bâtiment. Nous voilà transportés du côté de Venise… à moins que, toutes ces barques, ces gens à bord que les lumières font surgir avant qu’ils soient de nouveau absorbés par l’obscurité, ça me fait plutôt penser à un tableau dantesque. Je cherche Virgile, je suis certaine qu’il se cache quelque part. Un peu partout peut-être… On se déplace sous un son lancinant, en barque ou à pied le long d’un chemin qui suit le bord de l’eau.

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(Céleste Boursier-Mougenot représente la France à la 56ème Biennale d’art contemporain de Venise)

Un petit mot de l’exposition de Patrick Neu qui se trouve au même niveau. Après le gigantisme que l’on vient de quitter, nous entrons dans un monde plus intime, délicat. Prenez le temps de regarder la finesse des dessins au noir de fumée sur verre qui se révèlent quand on s’approche. L’artiste suggère un dialogue avec les matériaux (ailes d’abeilles, mues de serpent, coquilles d’oeuf…) et la mémoire du monde.

« Peindre avec l’histoire dans une pièce pleine de monde avec des noms amusants 3 » au sous-sol, l’exposition de Korakrit Arunanondchai, qui relate l’apprentissage du peintre, nous accueille dans une atmosphère vaporeuse. Des mannequins se mêlent aux visiteurs (ou bien le contraire, je ne sais plus au juste), il est parfois difficile de savoir qui est qui. L’exposition « célèbre la connectivité numérique, la fusion entre l’art et la vie, l’imagination et la réalité, la science et l’incorporalité. » Je suis sous le charme, même si à y réfléchir à deux fois, j’hésite à qualifier ce que je vois de rêve ou de cauchemar. Oh tant pis, j’aime beaucoup.

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(clic sur les images pour les agrandir)

Pas loin, il y a l’espace dédié à l’imagerie grotesque et kitsch de Tianzhuo Chen, et, dans les tréfonds du bâtiment le travail filmique de Jesper Just, exposition de films sur écrans géants, dans laquelle on pénètre en suivant un parcours dont, encore une fois, on ne maitrise pas grand chose puisqu’il se fait dans une obscurité à peine soluble dans les quelques spots lumineux dispersés ici ou là. Abandonnons-nous et entrons dans l’oeuvre d’art.

Et bien voilà, je suis ravie de cette nouvelle saison au Palais de Tokyo. A visiter et revisiter jusqu’au 13 septembre 2015. A voir surtout la nuit tombée, je pense. Bien que ma curiosité me donne envie de voir tout ça de jour…

Vernissage Palais de Tokyo

Pour ceux qui sont sur Paris et que ça intéresse, il y a un vernissage (entrée libre) au Palais de Tokyo, lundi 22 juin, de 21h à minuit.

Voir ici.

Coup de flou

Ils ont l’air de comploter. Leurs coups d’oeil sur le côté, l’attitude de resserrement, le groupe. Taisez-vous ! L’homme, le grand, il regarde par ici. Je ne crois pas qu’il m’ait vue. Je suis bien cachée derrière mon air détaché. Je me replie quand même un peu. Recul. Un pas. Tous ces gens autour ont aussi l’air ailleurs, mais ils le regardent, je ne perds pas une miette de leur manège, je discerne leurs interrogations comme si c’était les miennes. Deux pas. Le brouhaha est incessant. Bouillie de sons en catimini. Trois pas. Derrière toi, attention, le mur se rapproche, tu vas… CHUuuuuute !
Reprise en demi-teinte. J’ai mal partout. Dedans, dehors, autour. Je bleuis à vue d’oeil. L’homme est accoudé au bar, il discute avec un ami. Leurs échanges de sourires, de mots murmurés, d’approbations, leur façon de boire en connivence. Tout indique qu’ils sont amis. Brouille. Je vois trouble malgré mes tentatives de mise au point. Mal en point, tu veux dire. L’homme 0214_354regarde sa montre, il fait un geste à l’autre. Un enfant déboule près d’eux, il se dirige vers moi une télécommande à la main, il me vise en appuyant sur les boutons. Changement de programme. Le gosse a attiré l’attention sur l’endroit où je me trouve. Les deux hommes comprennent-ils que je les observe ? Ils se lèvent, s’évaporent dans l’obscurité. Où suis-je ? La scène devient confuse, elle tangue, je perds l’équilibre. Tête la première dans le sas de compression. Noir.
Des voix, lointaines, se rapprochent. Les mots deviennent distincts. Elle reprend connaissance. Laissez-la respirer. J’ouvre les yeux et cherche autour de moi ce qui retient ainsi leur attention. Je me sens nauséeuse, fétu de chair dans l’oeil d’une tempête. L’homme me demande comment je vais. Nulle part, je lui réponds. Ne bougez pas, nous avons appelé les secours. L’enfant me regarde avec de grands yeux étonnés. Il tient toujours la télécommande. Je le supplie, Rembobine, petit. Appuie sur le bouton, celui avec les flèches. Une chance sur deux, passé ou à venir. Tout est bon à prendre, sauf le mode lecture. Vas-y, maintenant, tu es un héros…
Je me vois me relever, me déplier, voler à l’envers, le mur se remet à sa place, je repose pieds au sol, le public s’éparpille, se détache. Je redeviens soluble dans la foule. J’observe les deux hommes en marche arrière, ils recrachent leur café dans leur tasse. L’enfant passe à côté d’eux à reculons, il tient une petite figurine qu’il fait planer dans les airs. Tout mou ve  ment     de vi ent         trè s    l e  n   t…. Arrêt sur image.
Je lâche le déclencheur de l’appareil photo, le monde repart. La photo sera floue. Trop longue pause, on n’y verra rien. Faux, on y verra tout ce qu’il y a à voir. L’homme regarde droit dans mon objectif. Oeil contre oeil. Effet mouillé. Echange de reflets. Lui en moi moi en lui. Nos pupilles se dilatent sur l’océan d’humeur aqueuse. Vous en avez pour longtemps ? me demande-t-il. Je sursaute et balbutie un non, tout en ramassant mon sac à dos. Je ne vous chasse pas. Pas le moins du monde. Si vous pouviez laisser la télécommande, elle peut encore servir. Euh… oui oui, bien sûr. Je la lui tends maladroitement, il la rattrape en effleurant le bouton arrêt. Je disparais.
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(photos prises au Palais de Tokyo, en février 2014 et en septembre 2006)

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