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les oiseaux dans le bocal

ou comment les poissons rouges ont pris la clé des champs

Mois

juillet 2015

Marelle… à cloche-pied dans les multivers.

Je ne chercherai pas à vous convaincre que chaque fois que je suis morte, j’en ai été consciente. Je ne parle pas de réincarnation, mais de ma vie, là, celle qui appartient à mon corps, ici présent. Un peu comme les chats qui, dit-on, ont un potentiel de neuf vies. Il ne s’agit pas non plus d’évènements qui font que nous fermons une porte et que nous franchissons le seuil d’une autre, les grands bouleversements sont, heureusement ou hélas, parties intégrantes de la vie. Non, c’est juste que lorsque je meurs, c’est comme si un brouillon s’effaçait et que je continuais sur une même portée, un rattrapage à la volée, un désaccord qui entrave peu l’harmonie du morceau. Rendez-vous au point d’orgue comme on nous disait au conservatoire quand l’un de nous se décalait par rapport au tempo. Et des points d’orgue jalonnent mon parcours. En fait, c’est un peu comme à la marelle, à cloche pied on change de case. C’est une sensation vague que j’ai toujours eue, sans vraiment m’y intéresser, jusqu’au jour où j’en ai eu la preuve.

C’est arrivé lorsque je suis tombée dans les escaliers. J’allais jeter les poubelles un lendemain de fête. Le local poubelles se trouve à l’extérieur du bâtiment. Juste devant cette petite pièce les dalles étaient cassées, disjointes. Embarrassée par mes déchets, je me suis emmêlé les pieds, une dalle a basculé, ma cheville s’est tordue et j’ai chuté tête la première dans l’escalier en béton qui mène au parking. La chute fut lente, tout en ralenti comme dans les films, je me suis vue déboulée me cogner contre le mur d’un côté contre la rambarde grillagée de l’autre me tordre me fracasser, j’ai entendu mes os craquer contre les marches, j’ai senti le goût du sang dans ma bouche, et enfin, l’arrêt de tout. Je suis restée un bon moment à regarder mon cadavre disloqué en bas des marches au milieu des fientes de pigeons et de l’urine des gens de la nuit. Mon coeur battait très fort. Quelle peur ! J’en étais toute remuée, j’ai fini par ramasser les sacs poubelles que j’avais lâchés, je les ai balancés dans les containers, et jetant un dernier regard en contrebas à l’informité que l’obscurité grisâtre s’accaparait, je suis remontée chez moi, bien chamboulée. J’ai regardé ma famille, ils semblaient tellement comme d’habitude alors que je pensais qu’ils m’accueilleraient comme une miraculée. Ils ont bien vu que je n’étais pas dans mon assiette et m’ont demandé ce que j’avais. Je suis tombée dans les escaliers et je suis morte. C’est ce que je leur ai dit, je crois qu’ils ne m’ont pas crue. J’ai mis plus d’une semaine à m’habituer à mon nouvel état, à me réunifier, à ne plus me sentir une étrangère en moi. Les dalles devant l’escalier-poubelle ont été changées depuis. On attend toujours un accident pour agir.

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J’ai alors repensé à toutes ces fois où j’ai été renversée par une voiture, où mon vélo s’est envolé, où je suis tombée dans un bassin d’eau croupie dans un parc isolé que je traversais pour aller à l’école… J’ai repensé au ressenti chaque fois le même d’être passée à travers un sas. Et puis il y eut la dernière fois. Dans ma ville, ce n’est pas quand le feu piéton est vert qu’il faut traverser, ce serait trop dangereux, on traverse quand on peut le faire, et cette fois là j’étais certaine que je pouvais. Il y avait un embouteillage devant moi, je me suis faufilée entre deux voitures, et puis le vent a soufflé très fort, je me suis sentie toute éparpillée.

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C’est là que mon ange gardien a arrêté le temps pour venir me parler. Il était tout ébouriffé et paraissait bien fatigué. Il m’a dit qu’il fallait que j’arrête de me conduire comme une gamine, que j’étais épuisante à force, qu’il était grand temps que je me pose. J’ai compris que je lui donnais trop de boulot, alors je l’ai remercié et je lui ai dit que dorénavant c’est moi qui prendrais soin de lui, que c’était un juste retour des choses. Il n’a rien répondu sinon qu’il a levé les yeux au ciel. Mon coeur s’est remis à battre, mes pieds se sont immobilisés stoppant net mon élan devant la camionnette qui fonçait à vive allure et n’a fait que me frôler. Je pense souvent à tout ça, aux chances que j’ai eue de chaque fois m’en sortir d’une façon ou d’une autre. Depuis, il ne m’est rien arrivé, enfin presque rien, je me suis bien projetée contre un poteau, toujours à cause de dalles branlantes que j’utilise comme base de lancement, ce qui me valut un coquard et quelques bleus, mais je n’en suis pas morte cette fois.

***

dessins crayon graphite aquarelle

Paris plages off

J’étais descendue à Concorde pour rejoindre la Seine, direction Paris plages. Le matin de bonne heure, c’est le terrain des joggeurs et des photographes. J’étais partie avec une idée en tête : photographier du vide (je vous dirai peut-être pourquoi prochainement).
Arrivée sur le quai, je changeais d’avis subitement, je suivrais un homme et son chien. Je me suis dit que j’allais faire un truc comme Sophie Calle, suivre un inconnu dans la rue. Et bien, ça n’a pas duré longtemps. Mon inconnu a disparu sous une racine, je veux dire qu’il était là devant moi quand mon attention fut attirée par une racine qui soulevait des pavés un peu comme au cimetière du Père Lachaise les arbres soulèvent et ouvrent les tombes, et là le temps de prendre une photo, quand j’ai relevé la tête, y avait plus personne. Ni homme, ni chien. Envolés.
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Quelle piètre fileuse je fais. Qu’à cela ne tienne, je m’adonnais maintenant au papillonnage le long du quai de Seine, cueillant sous un pont un rayon de lumière, attrapant ailleurs le regard d’un oiseau, butinant là quelques sourires d’agents d’entretien des quais. Oui mais, à force de tourner dans tous les sens pour tout voir, j’ai bien vu que j’étais devenue l’inconnue qu’on suivait. Alors l’homme portant appareil photo s’est approché de moi. Je crois qu’il a attendu que je finisse de viser pour me parler, et nous voilà partis à discuter des photos que nous faisions. Nous nous racontions un peu nos expériences de Paris plages. Il voulait me montrer ses dernières photos, alors il a tendu son appareil devant nous mais avec le soleil je lui dis que je ne voyais rien. “Venez à l’ombre” me dit-il. Je le suis jusqu’à l’ombre. Il me montrait de nouveau l’écran de l’appareil, je n’y voyais toujours pas grand chose, c’était pas faute d’essayer, j’étais dans un équilibre des plus instables tellement je me penchais. Il me dit même que j’étais sur la photo mais qu’il ne fallait pas faire attention… j’y comprenais rien du tout, alors je lui ai parlé des panneaux d’interdiction de faire des photos qui fleurissent un peu partout cette année sur le trajet sablonneux. Ensuite, je ne me souviens plus trop si on s’est souhaité une bonne journée, je me suis remise à faire des photos, il est parti et a disparu, lui aussi.

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Je suis arrivée sous un pont, c’est là que j’ai vu danser la lumière. C’était si beau, on aurait dit un film projeté sur le pont-écran. Je suis restée longtemps à contempler et puis j’ai voulu attraper au vol tous les mouvements. Ça me soulevait le coeur tellement c’était joli. Je me suis penchée pour voir d’où venait cette effervescence, là encore c’était magnifique, des ondulations marquaient la surface de l’eau de mille empreintes.

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Je suis repartie parce qu’il le fallait bien, non sans avoir laissé des traces.

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et pour malyloup

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Laissons fondre le chocolat

Ce matin, je pensais trop fort au mélange poire chocolat amande… vous entendez comme ces trois mots associés sonnent bien dans ma tête ? Alors j’ai préparé les ingrédients pour faire un cake… en fait, là, c’est pour la  photo, j’ai mis un fond blanc pour que ça fasse joli. . cakeChoco0715_294 Ensuite casser le chocolat (bien fort en cacao) en tout petits morceaux, on en met partout, c’est normal. Ne pas oublier de gouter. Eplucher et couper les poires en dés. Faire mousser les oeufs et le sucre puis ajouter la farine le beurre fondu la levure la poudre d’amande le chocolat les poires et les amandes effilées. Essayer de ne pas enfariner l’appareil photo… Verser le mélange dans un moule à cake et l’arroser d’une pluie légère d’amandes effilées. cakechoco0715_328mulri Pendant la cuisson, faire la vaisselle et commencer le traitement des photos. Vérifier la cuisson au bout de cinquante-cinq minutes. Sortir du four. Prendre les dernières photos. S’abstenir d’y gouter… ou juste un tout petit bout pour dire si c’est bon… muumfff… envoyer l’article avec du chocolat sur les doigts. cakechoc0715_334

Les sauvageonnes

25/07/15 et 27/07/15 – étude pour les sauvageonnes au graphite aquarelle.

(je galère complètement à photographier ces dessins, si quelqu’un sait comment photographier le papier crayonné (aussi bien bristol que Canson à grain), je veux bien des conseils – j’ai essayé dedans, dehors, sans flash, avec flash, scanner, le papier est toujours grisé et si j’éclaircis on ne voit plus le dessin)

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Lartigue, Bonisson, Springs et les chats à la MEP

Une visite à la Maison Européenne de la Photographie – programme du 24 juin au 23 août 2015
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mep0715Jacques Henri Lartigue (1894 – 1986) – La vie en couleurs
Célèbre pour ses clichés noir et blanc, Jacques Henri Lartigue a aussi fait de nombreuses photos couleur. C’est une centaine de ses ”instants fugitifs”  parmi les milliers glanés pendant près de 80 ans, qui sont présentés ici, pour la première fois montrés au public. Que ce soit la série du printemps qui ouvre l’exposition en pétillant de fleurs et de renouveau, ou celle de l’hiver avec ses teintes ocres, brumeuses, dépouillées, ou encore les voyages et les coquelicots, ce parcours fut des plus jubilatoires. Un cadrage juste, des tons à faire vibrer toutes les cordes de notre sensibilité. Le photographe est un amoureux. “Je suis amoureux de la lumière, je suis amoureux du soleil, je suis amoureux de l’ombre, je suis amoureux de la pluie, je suis amoureux de tout.” Lartigue a collectionné toute sa vie : les autographes, les conquêtes, les records, les instants fugaces. “Il est 8 heures. Assis à l’ombre, les pieds nus dans un rayon de soleil encore supportable. Mon oeil vagabond sur du gazon tondu, des feuillages inconnus, glisse à fleur d’eau bleue de la piscine.” Dans la seconde partie de l’exposition, il y a ses premières photos autochromes et des photos reliefs sur plaques stéréoscopiques (des lunettes spéciales sont à disposition du public). On y voit déjà une composition assurée.
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J’ai aussi trouvé très belles les photos de Marcos Bonisson (vidéaste et photographe brésilien) – Arpoador est une série de photos noir et blanc de la plage du même nom à Rio de Janeiro. Des cadrages très serrés sur de très gros plans de la mer agitée, d’une oreille mouillée, et puis des visages, la foule au bain, des corps en mouvements. A signaler la puissance des tons foncés.
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J’ai moins apprécié l’exposition des photos d’Alice Springs, épouse et collaboratrice d’Helmut Newton, qui montre une série de portraits de célébrités et beaucoup de photos d’Helmut Newton seul ou accompagné.
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Sur les marches qui descendent au sous-sol, suivre les traces de pattes de chat… Le chat et ses photographes comme son nom l’indique présente de nombreuses photographies de chats, joueurs, à l’affût, aimés, curieux… saisis par divers  photographes. Je retiens particulièrement deux photos : le chat vu de dos, de Bettina Rheims – j’aime beaucoup le travail de cette photographe qui m’avait enchantée avec son exposition Rose c’est Paris, à la BNF Richelieu. On retrouve dans ce chat la patte de l’artiste qui donne à ce dos de chat tigré une élégante prestance. L’autre photo c’est la petite fille au chat, de Jean-Philippe Charbonnier, qui rayonne de joie de vivre.
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Il est évident, je crois, qu’à part la photo d’entête de l’article montrant la MEP, aucune autre n’est de moi.

Sortie au Bal : Images à charge

J’ai visité cette exposition le week-end dernier. J’avais préparé un article mais je me demandais s’il était utile de le poster. Images à charge est loin de l’exposition plaisir et je dirais qu’elle est plutôt âpre. Mais comme elle me poursuit un peu chaque jour, je vous en dis quelques mots.

Le Bal est un lieu dédié à la représentation du réel par l’image (18ème arrondissement, pas loin de la Place Clichy)

Images à charge, la construction de la preuve par l’image. Tout est dans le titre. L’exposition part des premières images photographiques au service de la police criminelle jusqu’aux images des guerres d’aujourd’hui.

D’habitude le Bal présente des oeuvres d’artistes, cette fois il s’agit de montrer l’image au service des chercheurs, des historiens, des criminologues. La salle du haut commence fort en présentant des images de victimes de crimes datant du début du XXème siècle, toutes dans le même format, vues de haut qui embrasse toute la scène, un peu comme si le cadavre et ce qu’il y a autour était mis en boite. Sans jeu de mots, on dirait des natures mortes. Et puis, des photographies de traces de sang ou de pas, d’empreintes, d’objets contondants, etc.

« La photographie ne dit pas nécessairement la vérité, mais elle peut être une représentation véridique. […] Las photographies comme la plupart des preuves ne sont que des signes »

Dans la grande salle du sous-sol, c’est un peu différent, puisqu’il y est souvent question de crimes de masse. Images d’avant et après un bombardement. Images d’enquête sur la destruction de Koreme, au Kurdistan irakien, l’image servant aux revendications de Bedouins sur leurs terres dans le désert du Néguev, etc…Et un film montrant les images toujours difficilement supportables de la libération des camps, les photographes formés, le film présenté aux nazis au procès de Nuremberg, dans le but de photographier et d’examiner leurs réactions face aux images de leurs crimes.

Mais c’est devant les portraits d’hommes de tous âges, de femmes parfois, photographiés avant d’être exécutés, condamnés pour crime d’état lors de la grande terreur en URSS en 1937 et 1938, que je suis restée le plus longtemps, j’ai même eu du mal à m’en extraire. En 15 mois près de 750 000 citoyens soviétiques vont être condamnés et fusillés. Je regardais les photos grand format souvent très belles de ces visages, regards fixant l’objectif, elles défilaient en un rythme lent faisant naître diverses émotions.

« Voir, c’est croire. La capacité d’attestation de l’image, qui prévaut dans la perception commune, est d’autant plus avérée dans le champ légal. La photographie révèle, enregistre, valide, certifie. Et l’usage courant de photographies dans les tribunaux, qui suite de peu l’invention du médium, le démontre : le pouvoir de vérité de l’image est un instrument de conviction essentiel au service de la justice. En réalité, ce pouvoir de vérité a toujours été ardemment débattu, parfois légitimement contesté et souvent contredit. » Diane Dufour, commissaire de l’exposition.

Voir le site du Bal

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Exutoire

Acte : Il lui dénude l’épaule, elle hurle, la maintient de force, se débat, se plaque contre lui, enfouit son visage contre son corps. Il perce la peau, enfonce la seringue, introduit le produit sédatif. La porte jusqu’au divan, elle est secouée de soubresauts, se calme… Je m’endors en dedans. Le long du corridor lentement tu marches lentement vers la porte lointaine tu pries de ne jamais l’atteindre ralentissant ton pas tes gestes laissant le temps te dépasser te précéder t’oublier. Pause sur le film de ta vie. Lumière noire devant l’entrée tu danses à reculons debout dénudée sous le souffle de pensées épurées longues sinuosités de courbes en douceur tu t’échappes vers le large l’ondulation au corps en va vient alangui. Pause sur ton rêve. Ta poitrine soulève un soupir aspire à l’amplitude tu deviens feuillage oscillant. Le linceul aérien t’enveloppe frivole et pénètre tes songes. Tu t’allonges sans cesser d’avancer pour ne pas sombrer ne pas parler ne pas crier ne pas te révéler. Silence chuchoté. Tes voix s’échappent en un souffle subtil t’encerclent te chavirent. Le temps dans sa pause éternelle t’offre une valse un pas de deux ultime il te porte tu virevoltes te reposes meurs un peu il te veille te réveille mon ami pas encore. Attends gémis-tu dans ton sommeil étale en ailleurs d’une torpeur langoureuse attends encore un peu.

Mandalavy

Illusion en miroir

Etrange pratique que celle de l’autoportrait. On n’est jamais si bien servi que par soi-même, dirait l’un. C’est surtout très amusant. J’avais pour ce faire acheté du drap blanc, du drap noir. Installation de fortune. Il m’a fallu attendre ces jours pour (enfin) jouer à la poupée. Avec moi-même. Dis-lui miroir ce qui se cache en elle puisqu’elle te le demande, qu’elle tente de violer les secrets des farces de l’illusion. Car il s’agit d’un jeu et j’ai souvent attrapé des fous rires, oh oui, me précipitant le temps que le retardateur déclenche l’appareil, tombant, me rattrapant, prenant la pose, trop tard on recommence, trop flou on recommence, hors champ on recommence, mais zut on recommence. Ma crainte étant que je me prenne les pieds dans les propres pieds de l’appareil, cadavre exquis mon bel ami, miroir brisé dis-moi quelque chose, non, ne meurs pas… j’ai parfois eu quelques sueurs froides. Ainsi se termineraient nos folles parties d’obscur et de lumière, finies les  photos surprises, photos ratées, photos caresses, photos d’un voyage du corps à l’âme au corps exposé. Heureusement tout s’est toujours bien terminé, aucun blessé ne fut à déplorer, ni d’un côté ni de l’autre.

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Ce méli-mélo de deux autoportraits date d’une dizaine d’années.

Douze pieds d’un coup

petit amusement
*
*
S’enivrant d’écriture on se la rejouerait
Poète en pâmoison de ses propres sonnets
Ayant relu matin au hasard d’un fichier
Les mots que je pondais en un temps reculé
 *
Lire ces confessions ô combien ennuyeuses
M’exhorta à penser en vers à douze pieds
Un jeu que de couper l’oignon du taboulé
En rythmant la gestuelle aux rimes périlleuses
 *
Remplacer la tristesse la peur l’abandon
Par de l’huile d’olive du sel du citron
Du persil de la menthe au gré de nos envies
En guise de contrainte à jouir de la vie
 *
Goûter fermer les yeux servir frais en trinquant
Balayer d’un revers la ronde des tourments
Car de se sustenter de pommes et d’Adam
Vaut mieux que d’étaler les ténèbres d’antan
Promis, je n’avais pas prévu de parler ni de pommes ni d’Adam, mais comme ils se sont imposés, j’ajoute une photo de mes p’tites pommes.
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Mémoire en fleurs

Je me souviens des fleurs – ou des citrouilles, légumes, fruits… – que je ramenais du marché pour les photographier, le plaisir dans les jambes, bon pas, tête déjà dans les étoiles. Je préparais le plan de travail (en général la table de la salle à manger), je posais ici un miroir, là un verre d’eau. Je plaçais mon modèle, le préparais, le malmenais un peu, ça m’arrivait, c’est vrai, non sans délicatesse, une certaine tendresse. Quoi d’autre que de l’amour, en fait ? Mon appareil muni de son objectif 60mm, parfois posé sur pied, parfois sur des objets hétéroclites superposés. Réglage manuel, jamais de flash. Je visais, concentrée, m’approchais, reculais, mise au point, petite décharge d’adrénaline, shoot. N’ai-je jamais aussi bien regardé que dans mon viseur. Ce n’était plus la fleur que je voyais, c’était l’image que je cherchais, le monde qui s’inventait.

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L’îlot (4)

suite de la troisième partie

*

Après être rentrée chez moi pour me remettre la tête à l’endroit, je sortais et marchais longuement en longeant la mer. Puis je m’installais sur les galets, réfléchissant aux suites que je pourrais donner à cette histoire. Mes proches, s’ils étaient encore proches, me conseilleraient d’oublier cet endroit, tout comme ils m’avaient déjà conseillé de ne pas aller m’exiler dans la forêt. Etant d’une nature sensible et influençable, ce qui n’exclue pas une force de caractère qu’ils ont toujours voulu ignorer, ils penseraient que j’affabule et que le climat marin ne me convient pas. Et que diraient-il de mon voisin ? Ce bonhomme me plaisait pour toutes ses différences qu’il affichait avec les communs mortels. Et puis, il y avait son côté tranquille et rustre à la fois, il dégageait une évidente force intérieure. Je ne savais rien de lui, il m’en apprenait sur moi. Ce n’était pas une question de confiance, pour en arriver là il faudrait du temps, plutôt une sensation de vie, de liberté qui s’offrait à moi dans un contexte que je pouvais apprivoiser. Certes, des faits étranges me dérangeaient, ces voix que j’entendais, et puis cet autre chose indescriptible… Et ça me faisait peur, c’est vrai, mais la peur était une vieille compagne. Je la savais protectrice, une sorte de détecteur de fumée dont la principale fonction est de nous avertir contre le danger, j’en connaissais aussi le pouvoir destructeur quand elle tourne à la panique, allant jusqu’à se traduire par une fatale combustion spontanée de la lucidité. Mais là, j’avais confiance, n’avais-je pas déjà réglé leur compte à bien des démons intérieurs, dorénavant seule l’expérience m’intéressait. Et puis, si je n’étais pas courageuse, je savais que tout avait une explication plus ou moins rationnelle.

Je rentrais avant la nuit. Il était trop tard pour que je passe chez monsieur Sant. Je dinais et me couchais tôt tant j’étais épuisée. Sans surprise, mon sommeil fut interrompu par la bacchanale des tourments, des angoisses, des doutes. Ma chère mélancolie me rendait visite et me jouait son long monologue corrosif.  Je laissais ses pensées vénéneuses défiler avec une lassitude flegmatique. Elles étaient comme un gué indispensable pour passer d’un jour à l’autre. Il fallait compter une à deux heures de spectacle dont les numéros redondants finissaient par avoir raison de l’insomnie. Au réveil, les éboueurs du sommeil avaient tout nettoyé, et j’étais de nouveau prête à affronter le monde. La douche finissait de balayer les derniers confettis funestes qui trainaient encore ici ou là dans les recoins de ma conscience. Je me mettais ensuite à ma table de travail, grappillant quelques miettes de biscuits, mon projet avançait tant bien que mal. Dehors, la pluie s’était mise à tomber mais la lumière du ciel restait douce, je fermais les fenêtres, j’allumais la lampe au-dessus de la table où papiers et livres s’étalaient.

Une porte claquait quelque part. Une fenêtre mal fermée peut-être. Le battement devenait de plus en plus violent, rageur, jusqu’à ce qu’éclate un bris de verre qui me fit sursauter. Le coup de genou que je donnais dans le pied de la table déstabilisa une pile de livres qui tombèrent par terre. En me baissant pour les ramasser, mon attention fut attirée par des traces d’eau sur le sol. Je levais la tête, pensant voir une fuite au plafond, ce qui à l’évidence était improbable puisque le liquide gouttait du meuble où j’avais enfermé le cahier. J’ouvrais le tiroir et constatais les dégâts. Le cahier baignait dans un jus venu de nulle part. Je m’en emparais, l’égouttant comme je pouvais, prenant des précautions pour ne pas l’abîmer davantage. J’allais tenter de le faire sécher près d’une source de chaleur lorsqu’on frappa à la porte d’entrée. J’ouvrais et me retrouvais face à Monsieur Sant. Il était dans un état plutôt pitoyable, une main bandée, le visage fatigué, j’allais le faire entrer, mais avant que je ne commence à parler il me prit délicatement le cahier mouillé et m’intima de le suivre. Comme j’hésitais, alors qu’il montait déjà les escaliers, il insista.

– Si vous voulez des réponses, c’est le moment, suivez-moi !

Stupéfaite tout autant que poussée par la curiosité, je tirai ma porte et lui emboîtai le pas. Ce n’est que lorsqu’il poussa sa propre porte que je réalisais que j’allais entrer dans son monde. Cette fois j’y étais.

regarder autour de moi ? Je n’en ai aucun souvenir. Il y eut ce moment où je tombais. Et depuis je suis toujours en train de tomber. Il fait nuit, je ne ressens aucune peur, aucune sensation si ce n’est que j’ai conscience d’avoir perdu des parties de moi. Je m’effiloche, je fonds, je m’écoule. Je me mêle à des mots que je ne connais pas. A nous tous nous formons une farandole. J’ai oublié à quoi je ressemblais avant…

Le reste était illisible, l’encre encore humide s’était étalée sur le papier. Je tournai quelques pages du cahier, des traces de mots s’y dispersaient. Je le rendais à l’homme. Il me regardait. Attendait-il une réaction ? Je bafouillai.

– Je suis désolée, j’ignore d’où vient cette eau…

– Vous aussi vous faites dans la déculpabilisation à deux sous. Soyez tranquille, vous n’y êtes pour rien.

Ne sachant pas trop quoi dire, je lui demandais s’il était l’auteur des mots que je venais de lire.

– Non. J’ai trouvé ces cahiers quand je me suis installé il y a une dizaine d’années. Il y en a plus d’une centaine rangés sur ces étagères. Certains ont été écrits à plusieurs mains si j’en crois les différentes calligraphies, ou bien leur auteur avait plusieurs personnalités, ce qui est plus plausible. S’il s’agit d’un journal, il n’est pas daté. Cessez de faire cette tête malheureuse, je sais que vous n’avez rien renversé dessus. Ça va vous paraître incroyable mais c’est l’encre qui humidifie le papier. Vous avez entendu les voix, et bien, elles proviennent des cahiers, chaque fois qu’elles parlent, un cahier perd des mots, comme si l’encre se décomposait pour laisser le spectre des mots s’échapper. Rien qu’une réaction chimique en somme.

Une réaction chimique…. dans sa tête, oui. Ça devait sentir le barbecue là-dedans. On courait au court-circuit assuré. Je choisissais de faire diversion pour colmater ce qui pouvait encore l’être. D’un air détaché je regardais les étagères où la plupart des cahiers étaient emprisonnés dans des toiles d’araignées. Certaines de ces bestioles paraissaient dormir depuis des siècles tant elles étaient immobiles. D’autres se déplaçaient sur la toile nonchalamment à la recherche de quelques proies.  Il dut voir mon réflexe de répulsion.

– Ne prenez pas cet air dégouté. Ces cahiers ont la bougeotte, ils cherchent à s’ouvrir, à se répandre, ceux qui sont derrière les toiles d’araignées, au moins, restent à leur place.

Je lui demandais pourquoi il ne s’en débarrassait pas. Toute cette place qu’ils occupaient dans un si petit logement. Il m’invita à m’asseoir.

– Je vais vous raconter. Quand je suis arrivé, tous les appartements étaient habités. Mon propriétaire n’a jamais mis les pieds ici, il avait hérité d’une tante, je crois. Elle-même avait loué l’appartement à un homme qu’on disait peu communicatif, solitaire, asocial, un peu fou… banalement ce qu’on dit de ceux qui vivent en marge de la société. Lorsque cet homme est mort, l’appartement est resté longtemps inoccupé. Et puis je suis arrivé. J’ai découvert tout un fatras de bric et de broc que j’ai jeté, sans toutefois toucher à ces étagères chargées de cahiers. J’aimais penser qu’un trésor s’y cachait. Quand je fus installé, j’en ai ouvert quelques uns, ils étaient invariablement écrits à l’encre bleue, et remplis de signes, de mots, de phrases, difficiles à déchiffrer. Quand je dis remplis, l’écriture envahissait toute la surface de toutes les pages. C’est à partir de ce moment que des bizarreries se sont produites. Les voisins disaient qu’ils entendaient des voix. C’était très timide au début, puis je me suis rendu à l’évidence que je les entendais aussi. Comme ce phénomène avait lieu depuis mon arrivée, j’en étais obligatoirement responsable. Les cancans allaient bon train à mon sujet. Ça m’amusait plus que ça me gênait, et puis, ils avaient raison, j’étais responsable de ce qui se passait. Je me suis finalement aperçu que le phénomène faisait suite à l’effacement des mots des cahiers que je retrouvais dans un état similaire à celui-ci. Cahier mouillé, mots envolés. Un peu comme des vases communicants, si les mots n’étaient plus chez moi, c’est qu’ils étaient autre part. Au fait, vous voulez peut-être un verre d’eau, je ne vous ai rien proposé.

J’acceptais volontiers son verre d’eau. Il but lui aussi et repris son histoire.

– Donc, l’atmosphère de l’immeuble devenait de plus en plus tendue. Passé l’amusement du début, je me gardais de toucher les cahiers, mais je me rendis à l’évidence que j’avais lancé un processus que je ne pouvais pas arrêter. Si l’innocence existe, croyez bien qu’elle ne nous concerne pas, Héloïse. Les voisins n’ont souffert d’aucune blessure physique, par contre, je n’en dirais pas autant de leur état psychique. Chacun agressant l’autre de sa nervosité, ils s’étripaient à coups de mots, ce qui semblait exciter le phénomène. Je décidais de jeter ces fatras de papier. J’en mettais deux ou trois à la poubelle, ceux que j’avais sortis des étagères, et là, ce fut le drame. Deux étages se sont effondrés dans les jours qui ont suivi, comme si une partie de leur ossature eut été rongée sans raison apparente. Heureusement, entre temps, les habitants avaient plus ou moins déserté l’immeuble, sauf moi, Guillaume. Je me sens tellement à ma place ici, que j’espère ne jamais en partir. J’ai appris à composer avec cette « singularité ». Voilà…

– C’est tout ? Ce genre de faits n’existent que dans la littérature fantastique.

– Vous ne croyez pas que parfois il nous faut dépasser nos convictions sur ce qui existe ou pas ? A force de réflexion, je me suis donné une explication qui n’a rien de scientifique mais qui me convient. Pouvez-vous imaginer une force contenue dans l’écriture ? A voir votre expression, ça commence mal. Vous croyez à l’énergie, n’est-ce pas, Héloïse ? Vous êtes d’accord qu’elle ne se perd pas. L’auteur de ces cahiers était une personne particulière, non pas un être venu d’ailleurs, mais quelqu’un de différent… Ça existe, vous savez ?

– Partant de là, on peut avancer n’importe quoi, mais ça n’explique rien. Tel que vous me l’avez décrit, cet homme avait le profil pour être un artiste d’art brut, son oeuvre c’était ses écrits. Mais de là à leur donner force et vie…

– On ne peut pas imaginer que quelqu’un puisse donner force et vie à son oeuvre ?

– Pas comme vous l’entendez ici, il faut rester crédible.

– Et si je vous disais, êtes-vous certaine d’avoir vu ou entendu ce que vous croyez avoir vu ou entendu ? Et mes anciens voisins, peut-être s’agissait-il d’un psychose collective ?

– Je ne suis pas…

– Allons, vous êtes comme tout le monde, influençable et même hautement influençable en ce qui vous concerne.

Mon cher voisin essayait de me déstabiliser, mais tout influençable que je suis, comme les chats, je retombe toujours sur mes pied. Il reprit.

– Croyez-vous ?

– Que quoi ?

Lisait-il dans mes pensées, maintenant ?

– Croyez-vous que des pensées puissent faire assez de bruit pour vous effrayer.

– Ah ça oui, les miennes, quand elles s’y mettent… Enfn plus maintenant… Quoique de temps en temps…

– Que voilà une belle preuve d’instabilité ! Je vous taquine. Pourriez-vous vous mettre la tête à l’envers et voir les choses différemment ? Un mot, c’est bruyant. Une batterie entière de mots, si vous avez l’oreille fine, vous les entendrez rien qu’en les lisant. Ne me dites pas que ça ne vous est jamais arrivé ?

– D’accord, d’accord. Venez-en au fait. Disons que je n’ai plus rien à rétorquer et que j’attends la grande révélation. Les mots font l’homme et l’homme fait le monde à son image. Ensuite l’homme libère les mots, où ils se libèrent eux-même, et l’image n’existe plus, et les mots la recrée, à l’infini. Et dans cet immeuble, c’est l’endroit où ça se passe.

– Vous avancez.

– Vous plaisantez !

– Jamais.

– Bon, un peu de concret maintenant. Si les voix prennent la place des mots qui s’effacent des cahiers, un jour il n’y aura plus rien dans les cahiers et plus de voix dans l’escalier. Pourquoi ne pas les ouvrir tous ? Une sorte de désinfection. En quelques jours tout est nettoyé.

– Les mots ne se perdent pas, ils s’écrivent autre part, se recomposent dans l’espace. Ils réécrivent sans cesse notre histoire.

– Quelle histoire ?

– Ce que nous vivons n’existent que dans notre mémoire, vous êtes d’accord. Pour être plus simple, regardez cette lettre, celle que vous m’avez remise hier. Je n’en voulais pas parce qu’elle n’est pas pour moi. Du moins, elle n’est plus pour moi si jamais elle l’a été. Et c’est ainsi que tout évènement qui se déroule entre ces murs n’est jamais écrit définitivement.

Il me tendit la lettre recommandée, je la pris et vérifiai le destinataire. Elle était à mon nom. Je regardais Guillaume  d’un air soupçonneux. Dans quel délire essayait-il de m’embarquer ? Et si j’entrais dans son jeu, comment se terminerait la partie ? Je commençais à lever mon bouclier.

– Nulle part rien ne s’écrit définitivement. Mais bon. Tout à l’heure, vous avez dit que l’innocence ne nous concernait pas. Je conçois bien que par nos actes notre innocence s’amenuise. Mais ici, de quoi ne suis-je pas innocente ?

Il ne répondit pas immédiatement, comme s’il cherchait ses mots.

– Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Que faites-vous ici, Héloïse ? Dans un immeuble qui est menacé de destruction un jour ou l’autre. Qui vous a permis d’emménager dans ces conditions ? Comment vous dire ? Voyez-vous, j’ai des doutes sur votre réalité. Vous êtes apparue un jour…

J’étais partagée entre l’envie d’éclater de rire et la nécessité de m’enfuir. Mais comme il faut toujours que j’en rajoute, je contre-attaquais.

– Comment peut-on demander à quelqu’un s’il est réel ? Enfin, soyez logique. Voyons, c’est une aberration… Et puis, une illusion aurait-elle peur ?

– La peur est une illusion.

– Et pour les phéromones ? Je serais la reine des illusionnistes et vous le roi des menteurs. Pour moi, ce qui importe, c’est que je suis réelle parce que j’y crois, et ça me suffit. Et Je ne suis pas apparue comme vous dites, j’ai quitté ma vieille maison qui devenait trop chère pour moi et j’ai emménagé ici, par relation. Ce n’est pas la seule masure en mauvais état du quartier. Fichtre, votre histoire est amusante, ou effrayante, cousue de  fil blanc, mais si quelqu’un est une illusion ici, ce ne peut être que vous. Je suis en train de rêver, je vous ai inventé, comme j’ai inventé les voix et je vais me réveiller. Et vous n’existerez plus… et blablabla. Ce serait d’une tristesse… La vérité, c’est que vous avez le cerveau qui surchauffe à force de rester seul. Si ces cahiers ne font pas d’autre mal que d’exciter notre peur, ouvrons-les, sortons dans l’escalier et attendons les voix de pieds fermes. Moi aussi, je sais crier, je sais déblatérer n’importe quelle stupidité.

– C’est vous qui me faites rire, maintenant. Vous sursautez dès que vous êtes plongée dans le noir et vous êtes partante pour la totale. Je ne vous ferai pas ce coup-là. Souvenez-vous qu’il n’y a pas que les voix. C’est dommage que vous ne me croyez pas.

– Je veux bien croire à tout, à partir du moment où on ne met pas en doute mon corps et mon esprit. Croyez-moi, vous, je suis loin d’être un rêve, une illusion ou une chimère. Si nous sommes comme vous dites, vous autant que moi, nous autant que les autres, des êtres de paroles, car c’est bien ce qui ressort de notre conversation, ça ne va pas nous empêcher de vivre ou de croire que nous vivons, ce qui revient au même. Et si tout est possible, la seule chose que nous ayons à faire, c’est prendre soin l’un de l’autre, à commencer par soigner votre blessure, prendre soin de vos petits cahiers, car sans nous ils ne sont rien que de la poussière en puissance. Sans oublier de boire à la santé du mort. Vous vous rendez compte que vous pissez le sang ? ce n’est pas à l’encre bleue que votre futur va s’écrire. Venez, à votre tour de me suivre, j’ai tout ce qu’il faut chez moi pour vous faire un vrai bandage.

Guillaume était-il le véritable auteur des cahiers ? Je ne sais pas. Etait-il l’auteur des voix ? Je ne sais pas. Avais-je inventé le néant ? C’est possible. Nous avons longuement discuté les jours, les semaines, les mois qui ont suivi. Nous échafaudons des théories, nous les notons, sans jamais y revenir. Parfois nous avons l’impression que quelque chose nous aide à avancer. Notre vie à deux ne tiendrait peut-être qu’à cette recherche de l’inconnu. Cette vie nous convient et nous n’oserions changer quoi que ce soit qui mettrait en danger l’harmonie qui s’est instaurée entre ces murs. Nous dérivons en fuyant les terres habitées que nous fréquentons uniquement pour nous ravitailler. Les goélands, les araignées que je garde toujours à distance, et un chat dont il manque une oreille sont nos compagnons de voyage. Les mots sont des enfants capricieux, Ils continuent à me faire des peurs bleues, du moins, c’est ce que je leur fais croire. Avec le temps, je me suis habituée, c’est du moins ce que je fais croire à Guillaume, parce que parfois, je me laisse encore surprendre et ça gigote fort en moi, tellement qu’une fois j’ai failli tomber dans la grande obscurité. Parfois nous redescendons sur terre et nous nous aimons comme le font les humains que nous n’avons jamais cessé d’être. Nous faisons alors des projets dont les cahiers sont absents. Silencieusement, avec nos yeux, avec nos mains, avec nos corps. Dans ces moments-là, je sens en Guillaume rayonner une lueur d’éternité. Je sais qu’il lit en moi quelque chose de plus fantastique que tout ce que les mots réunis pourrons jamais lui offrir. Il va de soi que l’éternité ne dure qu’un instant. Il va de soi qu’un jour, les étais des étages du dessous lâcheront et que notre radeau larguera les amarres pour la grande aventure.

‘vy – juillet 2015

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L’îlot (3)

suite de la deuxième partie

*

Le restant de la journée se déroulait sans désordre autre que la cacophonie des oiseaux de mer indifférents à ce qui se passait chez les hommes. Ce fut le soir le plus difficile, l’endormissement, j’avais du mal à trouver le sommeil, mais il finit par avoir raison de mes inquiétudes. Je me réveillais de bonne heure, pleine d’énergie et décidée à ne pas me laisser démonter le moral par quelques divagations.

Sur le coup de dix heures on frappa à ma porte. Je m’approchais lentement sans faire de bruit, quand les coups résonnèrent de nouveau.

– C’est le facteur. J’ai un recommandé pour vous.

Le facteur… je regardai dans le judas… une silhouette se découpait sur le palier éclairé. J’ouvris.

– Bonjour. J’ai un recommandé pour monsieur Sant.

Je lui répondis que monsieur Sant habitait l’étage du dessus.

– Il ne répond pas. Vous pouvez le lui prendre ? Je suis déjà passé plusieurs fois. Je ne peux pas laisser un avis de passage, il ne vient jamais chercher ses recommandés au bureau.

– Non, je ne peux pas. Je le croise très rarement et…

– …C’est embêtant. Vous n’êtes que deux dans l’immeuble. Vous pourriez vous rendre service.

– Et si je ne le vois pas, j’en fais quoi du recommandé ?

Il insistait.

– Vous signez et je le glisse sous sa porte.

– C’est légal, ça ?

– Entre nous, je connais le zigoto qui habite au-dessus et la légalité et lui, enfin… disons que la légalité n’est pas la même pour tout le monde. Il faut composer avec les diverses situations.

– Ah, dites donc vous avez une drôle de conception… Après tout, donnez, je vais signer, mais vous allez le glisser sous sa porte, on est d’accord.

Tout en signant de manière illisible, je lui demandais s’il y avait longtemps que le reste de l’immeuble était inhabité ?

– Je n’y ai jamais vu personne d’autre que le bonhomme du haut. Je crois que les autres appartements sont insalubres. C’est même étonnant que vous puissiez y loger, mon frère vit à deux rues d’ici, il dit que cet immeuble est pourri. Certains prétendent même qu’il est hanté.

– Vous y croyez ?

– Non, pour moi, c’est un immeuble comme un autre. Je n’y ai jamais été poursuivi par un revenant. C’est une façon de parler parce que le type du dessus est bizarre et y vit seul. A part vous, maintenant… mais rien ne me prouve que vous-même n’êtes pas un fantôme. Ah ah ! Vous savez, on s’ennuie un peu l’hiver par ici, on parle, on s’invente des histoires. Faut pas vous en faire. Tout est réglo. Au fait, c’est quoi votre nom ? Je ne me souviens pas avoir déjà eu du courrier pour vous.

– Jocas. Héloïse Jocas.

– Vous avez bien fait votre changement d’adresse ?

Je lui assurais que c’était fait.

– Alors, c’est que vous n’avez pas beaucoup d’ennemis, ah ah ah. Allez, bonne journée m’dame.

Je refermais la porte. Au bout de quelques instants, j’entendais le facteur redescendre. J’allais me faire un café. Ensuite, je sortirais, j’avais besoin de me plonger dans la vie de la cité. Voir du monde, sentir le vent, marcher.

Au moment de sortir, je trouvais la lettre recommandée que le facteur avait finalement glissée sous ma porte. J’étais furieuse, il s’était bien fichu de moi. Je la porterais donc moi-même. Je montais l’escalier d’un pas décidé, et toquais à la porte de monsieur Sant. Il ne répondait pas. Je me baissais pour glisser la lettre sous la porte. Pas moyen de la faire passer, quelque chose bloquait la fente de l’autre côté sur toute la longueur. J’essayais de forcer un peu jusqu’à froisser la lettre, j’allais la laisser là, sur le sol, quand je pensai la mettre dans la boîte aux lettres. Je redescendais vivement faisant grincer toutes les marches lorsque j’entendis un pas monter à ma rencontre. Son pas, cela ne faisait aucun doute. Nous avancions l’un vers l’autre. Il n’y avait plus que quelques marches entre nous. Il regardait le sol et montait machinalement, il ne semblait pas s’être aperçu de ma présence. J’attirais son attention.

– Bonjour.

L’homme leva la tête et me toisa rapidement de son regard sombre, puis baissa les yeux et recommença son ascension, me forçant à me coller contre le mur. Je lui tendis la lettre, précisant que le facteur me l’avait remise pour lui. Il marqua un temps d’arrêt et regarda à peine le courrier, sans le prendre.

– Elle n’est pas pour moi.

Il leva les bras d’un air détaché et repartit.

– Mais…

– Ouvrez-la si vous voulez, marmonna-t-il.

– Ah, je peux l’ouvrir ? Le cahier que vous me donnez pour écrire, il ne faut pas, mais votre lettre, oui ? Dites, j’essaie de vous rendre service…

– Je ne vous ai rien demandé.

– Je vais la mettre dans votre boîte aux lettres et vous en ferez ce que bon vous semble.

– Bien.

– Bonne journée à vous aussi.

Il se retourna.

– Le cahier. Vous ne l’avez pas ouvert ?

– Pourquoi je l’aurais ouvert ?

– Même après ce qui s’est passé ?

– Il s’est passé quelque chose ? Ah oui, le facteur, la lettre… j’allais oublier.

– Vous savez à quoi je fais allusion.

– Non, je ne sais rien. Les allusions je ne connais pas. Je vis dans le concret. Si nous devons rester au bord des allusions, vous pouvez reprendre votre cahier, vous d’un côté et moi de l’autre.

– Et bien rendez-le moi. Mais ça ne changera pas ce qui a eu lieu. Je suis désolé.

– Ah, je déteste qu’on dise qu’on est désolé. C’est de l’excuse bidon. De la déculpabilisation à deux sous.

– D’accord. D’ailleurs je ne suis nullement désolé. Je ne le suis jamais. Les choses arrivent parce qu’elles doivent arriver. Et si quelqu’un est responsable de ce qui VOUS arrive, c’est vous. Et nous ne devrions pas rester dans cet escalier…

– Ne vous mettez pas en colère, ce n’est pas mon intention d’être désagréable. J’apprécie que nous vivions en bon voisinage. Notre relation…

– Notre relation… vous êtes amusante de parler de relation entre nous… Vous savez ce qu’on pense de moi dans les parages. Vous-même, que pensez-vous ? Tenez, seriez-vous entrée chez moi l’esprit tranquille l’autre jour si je ne vous avais pas arrêtée sur le seuil ?

– Sans doute…

– Vous dégouliniez de peur… si vous voulez un conseil, apprenez à limiter vos émotions, vous dégagez trop de phéromones.

– Hé, dites donc… des phéromones…comme si… n’importe quoi ! En tout cas, sachez que je me fiche pas mal de ce que les gens pensent de vous, de moi, d’eux-mêmes. La seule chose que je sais, c’est que je me sens chez moi ici, et que votre présence, si bourrue qu’elle soit, est rassurante.

Il ne répondait pas, secouant la tête comme ces petits chiens pendulaires qu’on voit parfois sur les banquettes arrière des voitures. L’image n’était pas très flatteuse mais j’avais tellement besoin de me détendre qu’elle faillit me faire pouffer de rire. Ce dont je m’abstins difficilement.

Il tendit la main vers la lettre que je tenais.

– Je vais vous en débarrasser. Pour le cahier, c’est vous qui voyez. Vous pouvez me le rendre. Vous pouvez l’ouvrir. Vous pouvez le garder dans le tiroir. Comme vous voulez.

– … dans le tiroir ? Comment savez-vous ?

– Je conçois que tout ceci a de quoi perturber votre bon sens. Mais n’allez pas tirer des conclusions hâtives. Puisque je ne vous fais pas peur, je vous attends chez moi. Je ne vous promets pas de répondre à toutes vos interrogations mais…

Subitement, nous fûmes plongés dans le noir.  L’homme était plus près que moi de l’interrupteur. Je lui intimai d’appuyer sur le bouton.

Quelque chose se mit à vibrer autour de nous….app…appuyez sur l’interrupteur… elle te dit d’appuyer sur l’interrupteur…  haaapp… ces chuchotements me glacèrent le sang. …je vous attends chez moi… il attend chez nous… les voix se superposaient de plus en plus bruyantes, de plus en plus nombreuses. Je crois que l’homme me parlait, mais ses mots se perdaient dans la tempête déchainée par une horde délirante invisible. J’essayais… une longue marche jusqu’à l’interrupteur.. plus de marche tomber... de trouver une marche, la rambarde à laquelle je me cramponnais tremblait sous ma main… Enfin, je l’entendis, lui, par delà les voix.

– Ne bougez pas ! Je vais rallumer. J’y suis presque. Essayez de vous calmer… ne bouge pas… il s’en occupe… perdu l’interrupteur… cherche le cherche le… nous nous en occupons… qui parle se demande-t-elle ?… je me calme… tu nous calmes… oublie le calme… fait peur… l’interrupteur fait nuit, j’ai peur… il y est presque… que c’est long… je prendrais bien encore un peu de cette fragrance… ce n’est plus de la peur, c’est une poltronnerieun interrupteur pour éteindre la frayeur… je vous en prends deux… au moins… nous sommes désolés pour cette… rupture de stock.

J’essayais de rester debout. Me calmer, comment voulait-il que je me calme ? Les voix m’assaillaient, chuchotant, hurlant, chantonnant, tout à la fois. J’essayais de balancer mon bras pour atteindre le mur et reprendre mon équilibre vacillant. Mais j’étais paralysée, je me souvenais du néant de la veille.

– Dépêchez-vous, je vous en prie ! …elle nous en prie, on fait ce qu’on peut… quelque chose prie qu’on se dépêche… que feriez-vous si je vous demandais en mariage… j’accepterais bien des noces avec une épouse épouvantéeoh, je vous ai taché, mon encre coule un peu, veuillez signer pour moi.. pour nous… …voulez-vous être moi ?… jusqu’à la fin des temps, ma chère que vous êtes ravissante, mais vous fuyez un peu… restez donc avec nous… vous prendrez bien une tasse de thé, j’en fais de l’excellent… avec une larme de…

Les voix cessèrent simultanément avec le retour de la lumière. Monsieur Sant était près de l’interrupteur sur lequel son doigt était encore appuyé.

– Ça va ? me demanda-t-il.

Non, ça n’allait pas. Mes jambes flanchaient, je m’écroulais sur les marches. Mon visage était trempé de larmes, j’étais proche de la crise de nerf. Ça ne pouvait pas aller. Le souffle rauque, la voix cassée, je lui demandais :

– C’était quoi ces voix ?

– Pas grand chose. Vous devriez remonter chez vous, vous êtes très pâle. On se verra tout à l’heure.

– Le facteur m’a dit que… des fantômes ?

– N’allez pas imaginer n’importe quoi. Commencez par ne plus avoir peur du noir, ça aidera.  Et puis, vous vous habituerez. Tout est question d’habitude.

[vers l’îlot 4 la fin]

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