Lundi, 21h05, nous voilà devant le Palais de Tokyo. Pause. Hésitation ? Une file impressionnante remonte l’avenue. On n’en voit pas la fin. Je perçois immédiatement la vive rétractation de mon mari qui présage d’un départ précipité. Voilà des années que nous venons aux vernissages, qu’au fil des évènements je me suis constitué une petite collection de photographies d’ambiance. Je préférerais ne pas rater celui-là. J’attrape fermement la main de l’homme et nous remontons le courant. J’ai un article à écrire, moi. Et moi, je pars très tôt demain matin, me répond-il. Moi aussi du coup. Et ce soir, le bout de la queue se situe loin loin loin. Je ne peux m’empêcher de sourire en longeant le long serpent humain qui s’étire, s’étire. En verrons-nous la fin ? Métro Iéna, on se pose, enfin. Au-delà des arbres le faisceau lumineux de la Tour Eiffel caresse les nuages. 22h00, enfin la longue chaine s’ébranle lentement puis plus rapidement, et surtout sans presque plus d’arrêt. Dix minutes plus tard nous entrons dans les lieux qui nous enveloppent de sons et de lumière. Je sors mon shooter à photons, je m’imprègne du visuel, ça remue dehors dedans, pour un peu je m’étirerais de bien-être, mais l’heure n’est pas au laisser-aller. Allons voir ces nouvelles expositions.
Au niveau de l’entrée, on love et refile l’attente comme un empressement à s’échapper, mais nous deux, on filera en douce au sous-sol. Séparation de moi et de ma moitié, je n’envisage que la visite intime, libre, sans parole, voleuse d’images et de sensations, j’opère en solo. Qu’on se rassure, l’endroit est grand, souvent délicieusement obscure, mais on se retrouve toujours, on se croise, on se sourit, on se perd de nouveau, c’est la vadrouille sans sens unique. Le plaisir de la découverte, de l’étonnement, de l’observation de l’autre, ces gens dedans le ventre grouillant du bâtiment en perpétuel métamorphose. Il devient clean le Palais. A sa réouverture, c’était limite un gros chantier encore, on pouvait cacher des billets doux ou piquants dans les murs ou les poteaux, ensuite on rebouchait ni vu ni connu.
Y a-t-il un sens à la visite ? Y a-t-il un rythme à respecter ? Pas de dilution programmée, je retrouve au hasard du cheminement pourtant chaotique que je pratique, les visages de la file d’attente. Et d’autres que je croiserai, et tous ces visages s’ajoutent les uns aux autres. Mais, et les oeuvres, me direz-vous ?
D’abord commençons par les présentations : La vie magnifique. C’est le nom de cette nouvelle saison. Il y est question de faire advenir la poésie dans tous les moments de notre existence. Tous, même ceux qui semblent un peu déroutants. On va “magnifier les instant simples, sublimer le banal”. Les explications sont souvent très belles. Merci les mots.
Le premier sous-sol est dédié au désir. « Seul celui qui connait le désir », des créations de l’artiste Ragnar Kjartansson (Islandais) qui pense et dit que : “Parfois on a besoin d’ajouter un peu de théâtre dans la vie et vice versa.” Son œuvre mêle performance, cinéma, sculpture, art lyrique, peinture, musique. Cette exposition va-t-elle dépeindre les désirs quotidiens en quête de transcendance ? C’est son ambition. Du haut des escaliers on découvre des petites maisons ouvertes à la curiosité du public, décors ou maison de poupée grandeur nature. Dans l’une une femme s’habille, dans l’autre un homme se déshabille et se couche. C’est du moins ainsi que je les surprends lors de mon premier passage. Mais bien sûr, la femme se déshabille aussi et l’homme s’habille pour pouvoir se redéshabiller. Quand la nuit tombe, ils dorment. Et le public s’évade. Au jour, ils sortent de leur chez eux de bric et de broc, se rencontrent au bord de la fontaine et se disent « bonjour ». Vous imaginez-vous que comme des gifs animés, les deux acteurs font et refont les mêmes gestes de midi à minuit tous les jours sauf le mardi durant le temps de l’exposition, soit jusqu’au 10 janvier prochain. Non, n’imaginons pas.
Tout à côté, on va on vient devant des écrans géants, déambulation musicale, on se laisse séduire, peut-être. Il faudrait y revenir, sûrement. Je regarde les ombres passer. Elles traversent les images, se posent devant, s’éparpillent pour errer sur les glaciers du désir ou elles reprennent corps.
Dans le jeu du qui a fait quoi, je m’y perds un peu, toujours portée davantage par mon instinct que par le côté didactique. Je zappe un peu quelques recoins, et, en bonne fille de l’ombre je me laisse attirer par le lumineux. Au sous-sol du sous-sol, où le sombre règne, des bulles de lumières sont en apesanteur, des ombres ici aussi, elles s’amassent, se séparent, s’amusent, rient, lisent. Et moi, je les épie, me laissant bercer par leur présence.
Mélanie Matranga, elle, est française mais le titre de l’exposition est en mandarin et signifie “encore et encore”, c’est léger, lumineux, fragile, calme. C’est mon endroit préféré du Palais de Tokyo, c’est toujours un peu glauque ici, mais souvent en même temps très poétique. La lumière s’y plait beaucoup aussi.
Mélanie Matranga nous propose plusieurs environnements. Je pénètre maintenant une coulée blanche dans l’obscurité du sous-sol. On y joue les spéléologues en goguette, constatant que quelques herbes semblent avoir poussé ici ou là. Attention, baissez la tête !
Au début, les ombres sont encore ombres et puis elles s’éclaircissent, se colorent, s’habillent, se font visages et corps.
Ci-dessous, on monte un escalier en petit groupe d’une dizaine de personnes, pour découvrir là-haut une pièce où pendent des globes terreux sculptés de ravissantes formes, bonhommes, objets, c’est très fin, élégant. Et ces globes sont des enceintes, alors bien sûr, Musique !
Pour le reste… J’avoue, j’ai un peu déconnecté. Je remonte pour voir l’exposition principale, Il s’agit d’une rétrospective sur la vie et l’oeuvre de John Giorno. Au début des années 1960, il conçoit le poème comme un virus qui doit se transmettre au plus grand nombre. Il crée Dial-A-Poem en 1968, un service téléphonique qui permet l’écoute de poèmes, oeuvres sonores, chansons et discours politiques.
(Et bonne nouvelle, si vous n’êtes pas sur place, jusqu’au 10 janvier 2016, vous pouvez aussi appeler un numéro (gratuit) de votre téléphone de chez soi ou d’ailleurs : 0800 106 106 qui propose de découvrir des sons et des voix. Je l’ai fait et je suis tombée sur Antonin Artaud qui m’a parlé de la mort, du bardo, de la médecine aliénante. Pour moi c’est un premier coup gagnant, la voix d’Artaud fascinée fascinante est à elle seule une envolée.)
Et puis il y a la grande salle, celle qui se métamorphose chaque fois entièrement sous le talent des commissaires d’exposition, c’est là qu’il y avait une lagune à la dernière expo. Là, que j’ai vu les murs recouvert de substances étranges qui se dégradaient dans le temps.
Et puis on suit le mouvement, un peu sous le coup de la fatigue du jour passé. Il faudra peut-être y revenir…
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La vie magnifique – Palais de Tokyo – jusqu’au 10 janvier 2016
22 octobre 2015 at 10 h 04 min
L’expo du premier sous sol de l’artiste Ragnar Kjartansson me parait la plus intéressante. Peut être aussi parce qu’elle me fait songer à Sizif… Pour le reste, je te sens un peu mitigée par ta visite. Même si tu en fais part avec de belles photos et si tu la décris comme toujours avec ce ton personnel qui nous donne la sensation de t’accompagner. Quoi qu’il en soit, j’irais bientôt.
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22 octobre 2015 at 10 h 41 min
Un peu mitigée, oui. Rien qui m’ait fait bondir d’enthousiasme. Mais il faut se faire une opinion personnelle. Pour le coup, cette expo est peut-être plus appropriée à une visite tranquille. Il faut prendre le temps. En fait, il y a l’ambiance et il y a l’expo, je crois qu’il faut voir les deux séparément. Ce que je faisais avant, j’y retournais. De même il y a des expos à voir à la lumière du jour et d’autres qui gagnent à être vues la nuit. Les deux, c’est bien.
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22 octobre 2015 at 16 h 05 min
PALPITANCE
Arrêts de lecture… je m’y suis astreinte, pour pouvoir t’envoyer des p’tits échos de parcours…
– Premier arrêt : je m’étais justement dit, quand t’as avisé que t’irais à ce vernissage, que les files sont parfois tellement longues à Paris… et qu’il fallait vraiment être mordue… ici, les files, ça n’a rien à voir…
– Deuxième arrêt: et vous vous lâchez la main? À Paris? Alors là, tu m’épates… ou tu m’étonnes, j’sais pas.
– Troisième… Hi… on aime ça le « magnifier les instants simples, sublimer le banal ».. je continue, en haleine…
– Quatri… Oh, je m’arrête tout de suite… « le désir »… ah, quel départ… je sentais déjà que j’aurais aimé y être moi, mais là, si ça part là-dessus…
– Ah et le… euh, cinquième arrêt… et le théâtre dans la vie… ah non mais, pourquoi j’ai pas d’avion, moi ?
Et les autres encore, d’arrêts j’veux dire…
– Non, n’imaginons pas, t’as raison… trop c’est comme pas assez.
– Moi aussi, l’instinct plus que le didact…
– Ah décidément, toutes ces photos, j’y plonge dans cet expo, moi… j’suis avec toi…
– Et voilà que j’ai l’impression… que c’est grand… à s’y perdre…
– Je sens que j’aurais été un peu fatiguée, moi aussi, parallèle… que j’aurais déconnecté comme toi, un sentiment de répétition, de déjà-vu peut-être…
– Voilà, j’ai suivi, j’ai aimé, j’ai été fatiguée.
– Une chose est certaine, j’ai aimé te lire… te suivre… tu peux m’emmener où tu veux, je t’y suivrai encore… même les longues files d’attentes sont palpitantes avec toi… non, non, j’exagère pas. Et va pas m’accuser de trop d’enthousiasme, j’ai le droit, non?
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22 octobre 2015 at 19 h 28 min
– En général, j’ai des cartes des musées où je vais souvent, je n’attends pas. Sinon, j’achète les billets d’avance. Pour le vernissage, les prioritaires, les invités, le beau monde, les ministres, que sais-je ? ont dû rester trop longtemps, je n’avais jamais vu ça à cette heure.
C’est très grand le Palais de Tokyo, j’aime les grands espaces fermés que je connais comme ma poche, je m’y sens comme un esprit errant.
Ah oui, fatiguée, surtout qu’on avait diné au resto et que j’avais bu deux verres de vin… peut-être un peu plus… mon mari boit très peu.
Je suis contente que tu te sois fatiguée aussi… en bonne parallèle, c’est normal, solidaire, je dirais.
Tu veux un avion pour Noël ?
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